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«Les danseurs étoiles parasitent ton ciel»: l’étoile d’Hochelaga

Les danseurs étoiles parasitent ton ciel
L'autrice Jolène Ruest pour son roman Les danseurs étoiles parasitent ton ciel. Photo: Josie Desmarais/Métro

Dans son roman Les danseurs étoiles parasitent ton ciel, l’autrice Jolène Ruest célèbre les parcours de vie en lignes croches, à l’image des tracés que forment les constellations dans le ciel. Du même souffle, elle rend hommage à son quartier d’adoption, Hochelaga.

Prunelle Gagnon a 20 ans. Elle est fraîchement diplômée de l’École supérieure de ballet. Son obsession pour son art est quasi maladive: elle connait sur le bout des doigts les noms et accomplissements des plus grandes ballerines de l’Histoire. Bref, c’est une vraie nerd de danse classique.

En attendant d’être embauchée par une prestigieuse compagnie, elle doit payer son loyer. Le contraste entre son rêve de gloire et la dure réalité est on ne peut plus saisissant.

On fait d’ailleurs sa connaissance dans cette dure réalité, alors qu’elle termine un contrat à titre de pingouin-pompiste pour la Fête des neiges. Quelques mois plus tard, elle se résigne à postuler au Dairy Queen de son quartier, sur la rue Sainte-Catherine Est.

Entre la confection de Blizzards et de cornets trempés dans le chocolat, son espoir de suivre les pas de Carlotta Grisi, Ida Rubinstein et Vanesa Garcia-Ribala Montoya fond comme une crème molle au soleil.

Pourquoi Jolène Ruest a-t-elle choisi de camper son deuxième roman dans le milieu de la danse, elle qui est mordue de musique punk et qui est formée en humour? «Il y a une vraie raison, mais je vais t’en dire une autre avant!» répond-elle en éclatant d’un de ses rires tonitruants.

La «fausse» raison d’abord: en danse, une discipline physiquement très exigeante, les finissants ont la pression d’entamer leur carrière rapidement. «Il y a un momentum. Il ne faut pas que tu niaises avec la puck; tu ne peux pas prendre six mois de congé en Asie pour aller te remettre en question.»

D’où le sentiment d’urgence qui habite Prunelle, qui a peur de manquer le bateau.

La vraie raison maintenant: «Je voulais parler de ma situation après avoir fait l’École nationale de l’humour», explique l’autrice.

«Ce roman parle d’art et de ballet, mais il s’applique à tous ceux qui se cherchent. Ceux qui, par exemple, ont fait un BAC en musicologie et se demandent quoi faire avec. Quand tu ne vois pas les débouchés, mais qu’il s’agit de ton rêve: tu fais quoi?» Jolène Ruest, autrice de Les danseurs étoiles parasitent ton ciel

Le parcours de Jolène Ruest ressemble en plusieurs points à celui en dents-de-scie de Prunelle, avec quelques demi-pliés et arabesques en moins. Elle aussi a douté d’elle-même. Elle aussi a remis en question sa place dans son milieu. Elle aussi a travaillé au Dairy Queen d’Hochelaga.

«Je suis vraiment partie de mes émotions, je pense que c’est ainsi que le roman peut toucher des gens», soutient l’autrice.

Pour décrire le milieu de la danse classique avec autant d’exactitude, elle s’y est complètement immergée, allant jusqu’à s’inscrire à des cours de ballet. «Ce n’est vraiment pas dans ma nature. Moi, je vais dans les moshpits! J’ai le coup de pied trop rapide pour le ballet!» lance-t-elle dans un autre éclat de rire.

Un jour qu’elle travaillait au DQ, Jolène s’est fait reconnaitre sous son polo et sa visière bleue par un auditeur de l’émission Critique de crowd, qu’elle a animé pendant six ans à CISM. Les mots qu’il lui a adressés lui ont glacé le sang : «Faque… tu n’en gagnes pas ta vie».

Ces mêmes mots, Prunelle les entend dans la bouche d’un client amateur de danse (et de crème glacée au chocolat). «J’étais tellement gênée! se souvient la jeune autrice. Ça a été un point tournant dans ma vie. L’idée du roman part de là.»

L’élan dans la chute

«Même quand on pense être préparé, on ne sait pas comment sera la vie, souligne l’autrice. À l’école de ballet et à celle de l’humour, il y a un cours de gestion de carrière. Peu importe ta note, ça ne veut pas dire que tu la géreras bien!»

Deux adages accompagnent sa protagoniste. Il y a ce proverbe que sa grand-mère lui répète souvent: «La vie n’est pas un long fleuve tranquille». Et cette citation de la célèbre danseuse française Marie-Agnès Gillot: «C’est dans la chute que je prends mon élan».

Cette phrase a d’ailleurs failli devenir le titre du bouquin. «C’est très représentatif du roman, affirme Jolène Ruest, dont le passage en humour lui a ouvert les portes du milieu littéraire. Mieux vaut trouver de quoi de bon dans nos cacas de vie, sinon on n’avance pas.»

L’autrice est consciente des limites de cette façon simpliste de voir les choses: «Rester optimiste, oui, mais il faut aussi bien placer ses pions… En même temps, certains ont de la chance, comme Justin Bieber qui s’est fait découvrir sur YouTube… Wow! C’est le pire exemple au monde, voir que je viens de le mentionner!» lance-t-elle dans un autre éclat de rire.

Il reste que rien n’arrive pour rien et que la somme de nos expériences définit qui on est. «Quand j’ai travaillé au Dairy Queen, mon père m’a dit: “Prends des notes, ça va te servir”. Pis ça a servi», souligne-t-elle.

D’où l’importance de suivre les conseils de son entourage tout en s’écoutant soi-même, souligne l’autrice. À l’instar de l’allumette, qui illustre la couverture de son livre: «Il faut que ça allume de quoi!»

«Mais tout ça sonne comme de la psychopop, poursuit-elle. Parfois on a juste envie de dire: “fuck you!” Des fois, il faut juste vivre.»

L’hostile et la chaleureuse

Jolène Ruest réfléchit à voix haute et enchaîne les anecdotes depuis un banc du parc Morgan, au cœur du quartier où se déroule Les danseurs étoiles parasitent ton ciel, et où elle-même habite depuis 10 ans. Juste en face se trouve le Théâtre Denise-Pelletier, où les protagonistes des Danseurs étoiles… s’immiscent un soir de Gala Artis. Au loin, on aperçoit le fameux Dairy Queen et son enseigne en néon.

«Si j’avais voulu écrire sur un autre quartier, il aurait fallu que je déménage!» lance-t-elle en riant.

Dans son roman, Jolène Ruest parle d’«Hochegala, l’hostile et la chaleureuse». En deux qualificatifs, elle résume l’essence de ce coin de la ville. «Tu dis ça et j’ai un frisson! s’exclame-t-elle. Il y a plein d’aspects où Hochelaga n’est pas si accueillante, mais on y reste.»

Les danseurs étoiles… donne dans l’hyperréalisme. La splendeur et la misère du quartier y sont dépeintes avec justesse, sans complaisance ni défaitisme. Prunelle évolue entre les constructions de condos de luxe et la marginalité.

C’est d’ailleurs en se liant d’amitié avec deux punks du quartier nommés Paquebot et Javel qu’elle finit par envisager autrement sa carrière en danse. À la mention de leurs drôles de noms, l’autrice échappe un «ouiii!» débordant d’enthousiasme. C’est qu’elle affectionne énormément ces personnages avec qui elle irait volontiers se défouler dans un moshpit.

Ces deux gars avec qui l’aspirante ballerine n’a à priori rien en commun lui viennent en aide à un moment où elle en a cruellement besoin. «Au final, c’est quoi la pauvreté? se questionne l’autrice. Prunelle est crissement moins pauvre depuis qu’elle a rencontré ces richesses humaines.»

Les danseurs étoiles parasitent ton ciel, publié aux éditions XYZ

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