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«Cruelles», des femmes d’une exquise horreur

Cruelles Fanie Demeule Krystel Bertrand
Fanie Demeule et Krystel Bertrand Photo: Josie Desmarais/Métro

Dans Cruelles, le collectif dirigé par Fanie Demeule et Krystel Bertrand nous présente des femmes odieuses et perverses. À la lecture de ces dix nouvelles aussi dérangeantes que satisfaisantes, notre sang se glace et notre estomac se tord d’effroi. Rencontre – bienveillante, évidemment – avec les deux complices responsables de nos sueurs froides.

Arrivez-vous à vous rappeler d’un personnage féminin de fiction foncièrement méchant et sadique? Difficile, n’est-ce pas? La Reine-sorcière dans Blanche-Neige agit par jalousie, la Mariée dans Kill Bill par vengeance. Alors pour remettre les pendules à l’heure, en quelque sorte, Fanie Demeule et Krystel Bertrand ont eu la brillante idée de se lancer dans l’aventure Cruelles. «Quand des femmes horribles sont représentées dans les films, c’est souvent pour des affaires un peu trop faciles ou clichées, comme la mort au poison» appuie cette dernière. Et d’ajouter «on a voulu aller plus loin et montrer des femmes qui sont capables d’être extrêmement violentes».

C’est ainsi que le terme cruel leur est apparu. «Au-delà de la violence ou de la méchanceté, la cruauté est injustifiée et injustifiable. Les représentations des femmes cruelles sont assez limitées à notre sens. Et lorsque c’est le cas, c’est souvent en aplat, avec des personnages très distanciés du héros. On a peu accès à leur psyché» précise Fanie Demeule.

Les deux collaboratrices depuis 2017, qui se sont rencontrées dans un cours de Martine Delvaux à l’UQAM, partagent la même fascination pour ce genre de personnages peu explorés: des femmes maléfiques et malicieuses. «Dans Cruelles, on essaie de montrer que la violence n’est pas juste des trucs de gars», se défend Krystel Bertrand, grande amatrice de métal et de films d’horreur, «des intérêts souvent attribués aux hommes».

«J’aime notre timing avec la saison. Je pense que c’est un livre qui pourra donner de bonnes frousses aux gens et qu’ils pourront voir que les femmes peuvent être aussi dérangées et dérangeantes.» Krystel Bertrand

«Il y a beaucoup plus d’hommes dans les slashers. C’est rarement les femmes qui pètent un câble et qui se mettent à assassiner tout le monde et qui s’en prennent très violemment aux autres» illustre-t-elle. Comme si, effectivement, l’étrange et la transgression étaient réservés au genre masculin…

Pour Fanie Demeule, il fallait donc que leur projet commun parle de «femmes marginales et ingouvernables, qui s’affranchissent des attentes, qui dérangent le regard, car elles dérangent les normes de genre».

Des Cruelles éclectiques

Amitié, filiation, maternité, harcèlement, etc., les dix autrices et auteurs qui ont participé au collectif s’en sont donnés à coeur joie et le résultat est délectable pour le lecteur. On sursaute, on assiste impuissant à de véritables scènes d’horreur, on est stupéfait, mais surtout on prend un malin plaisir à sauter d’une nouvelle à l’autre. C’est dire à quel point Fanie Demeule et Krystel Bertrand ont réussi à communiquer leur enthousiasme.

À leur demande, Raphaëlle B. Adam, Marie-Jeanne Bérard, Camille Deslauriers, Hélène Laforest, Marie-Pier Lafontaine, François Lévesque, Anya Nousri, Lysandre Saint-Jean, Patrick Senécal et Olivier Sylvestre sont allés «le plus loin possible dans la cruauté», bien qu’elles savaient que «le sujet pas facile à traiter pour tout le monde» raconte Fanie Demeule.

«On a fonctionné par invitation d’artistes de tout horizon, avec des plumes très différentes, dont nous connaissions les univers» explique Krystel Bertrand, qui confie s’être tournée vers des personnes chez qui elle sentait une certaine curiosité à écrire des histoires sordides.

«On leur a seulement décrit le concept et donné quelques-unes de nos références. Rien d’autre. Pas de consigne sur la forme», relate-t-elle, tout en insistant sur l’extrême générosité de ses pairs.

L’agencement des nouvelles apporte aussi beaucoup à l’expérience. Plus la lecture avance, plus nous basculons dans le fantastique, l’occulte, l’imaginaire.

L’atrocité du réel

«J’espère que ça va titiller les esprits», avoue Krystel Bertrand. De la violence psychologique au plus haut degré à la torture physique, en passant par les injonctions faites aux femmes dans nos sociétés et le gore, le résultat rend fières les deux acolytes.

Même si Fanie Demeule et Krystel Bertrand s’accordent à ne pas vouloir mettre de l’avant un texte plutôt qu’un autre, il apparaît difficile de ne pas faire mention de celui, vertigineux, écrit par Hélène Laforest, Les Horreurs ordinaires.

Sans ne rien dévoiler de son contenu – âmes sensibles, surtout ne pas s’abstenir – les émotions de celui-ci sont d’un réalisme et d’une brutalité inouïe. «Sa façon d’écrire, ses chutes, sont incroyables. Ma mâchoire drop chaque fois que je la lis» dit Krystel Bertrand, un large sourire dans la voix .

Fanie Demeule souligne le potentiel de la nouvelle «de parler a beaucoup de gens». «Ça vient chercher quelque chose de profondément angoissant pour la plupart des êtres vivants. N’oublions pas que nous sommes des êtres complexes, mais [il s’agit] aussi d’honorer et de regarder les facettes les moins glorieuses de l’humain», avertit-elle.

Briser les tabous

Dans Dawessou, d’Anya Nousri, la cruauté surgit dans un rapport insidieux de filiation, celui de mère/fille. «La portée sociale de ce texte est immense. Il nous amène à une réflexion puissante et nécessaire. C’est vraiment un legs de la part d’une autrice qui ne fait aucune concession», détaille Fanie Demeule.

Elle évoque aussi Cache-cache de Marie-Pier Lafontaine, qui s’inscrit dans la continuité de son roman Chienne, dont la sortie en 2019 a été très remarquée, dépassant les frontières du Québec. «Cette autofiction relate la violence absolument effroyable au sein d’une famille. Avec Cruelles, il s’agit d’une réponse, un retour de balancier, des enfants face à la violence paternelle», expose-t-elle.

Finalement, l’ensemble de Cruelles vient chercher nos peurs, nos angoisses, les plus profondes, ravivant potentiellement certains traumatismes. «Les choses qu’on tenait pour acquises, et qui finalement ne le sont plus, comme l’amitié, viennent probablement ouvrir des plaies», indique Fanie Demeule.

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