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«Décroissance sexuelle», la lumineuse résistance de Julie Delporte

Décroissance sexuelle Julie Delporte
L’autrice Julie Delporte Photo: Josie Desmarais/Métro

Avec Décroissance sexuelle, Julie Delporte s’est détournée de ses dessins bigarrés vers des tons monochromes sans équivoque. Amalgame de poèmes et de gravures à l’eau-forte, le récit témoigne ainsi de traumatismes individuels et d’un salut collectif.

Décroissance sexuelle. Le titre du recueil de Julie Delporte interroge au premier regard. «C’est de la poésie, alors on peut l’interpréter comme on veut. Mais moi, je lis de différentes manières. Je ne veux seulement pas c’est que cela soit interprété comme du sexe négatif. Ce n’est pas mon intention.», confie l’autrice et illustratrice. «L’idée m’est venue du terme décroissance économique. Puis, la décroissance personnelle est apparue, peut-être comme une anti-culture de la performance qu’on nous dicte», dit celle qui lance une invitation à ralentir.

Et qu’en est-il de la décroissance sexuelle? «Politiquement, je place ce titre provocateur dans un contexte de culture du viol», prévient l’artiste. «Comment les gens peuvent-ils ne pas se rendre compte que le capitalisme et le néo-libéralisme ne sont pas uniquement présents dans l’économie, mais le sont également dans la sphère psychique? Et la sexualité n’est pas épargnée», poursuit-elle.

«Il y a quelque temps, j’ai vu dans un film le témoignage d’un jeune homme qui pensait qu’avoir des rapports sexuels tous les jours était normal dans un couple. Il forçait un peu sa copine et lui mettait beaucoup de pression. Plus tard, elle le lui avait reproché. Elle l’avait vécu comme un viol, en fait. Et c’en est un.» Julie Delporte ne mâche surtout pas ses mots, et va même plus loin. «Je me suis dit que ce mec-là ne s’en est sûrement pas rendu compte… Pourquoi? Parce qu’on est à l’ère de la performance, dans le toujours plus.» Oui, et en plus, le sexe serait bon pour la santé, paraît-il. «Quand j’entends ça lors d’entrevues à la radio, par exemple, je n’y crois pas une seconde. Pour la santé de qui, au juste? Dans quel contexte? Moi, parce que je pensais “qu’il fallait”, je me suis souvent retrouvée dans des situations où ça n’était pas agréable».

Plus qu’une généralisation, la décroissance sexuelle est aussi celle de Julie Delporte. «À un moment donné, je n’étais juste plus capable», souffle-t-elle. «Tout ça part d’une thérapie de groupe que j’ai fait il y a quelques années dans un Calacs (Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, NDLR). C’était une première et je ne savais pas ce que c’était ni ce que ça impliquait. Qu’il s’agisse d’inceste ou de viol à l’âge adulte, ça devient subitement un problème collectif. En thérapie individuelle, ça reste mon histoire, celle de ma famille. Ça relèverait presque du fait divers, finalement.»

Un problème sociétal

Selon les chiffres officiels, une femme sur trois aurait au moins une fois été victime d’agression sexuelle au cours de sa vie, un homme sur six, et ce chiffre grimpe à 75% quand on parle de jeunes filles mineures autochtones. Globalement au Québec, près de la moitié des victimes de violences sexuelles sont des enfants. «Les chiffres sont hallucinants, même si personne ne les entend ou ne les croit vraiment. Arrêtons de mettre ça dans l’ordre du privé parce que ce n’est pas vrai. C’est un phénomène de société qui s’appelle la culture du viol, l’inceste», nomme sans ambages la poétesse.

Pour comprendre la genèse de Décroissance sexuelle, il faut remonter le temps jusqu’en 2018.

Le centre de diffusion d’art multidisciplinaire de Montréal Dare-Dare lançait à l’époque un appel à résidence sur le thème friction. «Friction de l’espace privé avec l’espace public», pense tout de suite Julie Delporte. «Je leur ai proposé de recréer un peu ce que j’avais vécu en thérapie de groupe. La consigne était qu’il fallait créer vingt-quatre phrases qui seraient affichées sur panneaux lumineux. Je voulais donc faire vingt-quatre rencontres, toutes anonymes, pour parler de la culture du viol. J’en ai invité certaines, d’autres ont répondu à un appel.»

«Ton pénis est mon ver solitaire», c’est ainsi que commence son œuvre. «Au début de l’histoire, une femme est seule. Après, elle rencontre d’autres personnes et le pronom change. On passe au nous, à une communauté des gens qui prennent soin les uns des autres et qui construisent une cabane où guérir ensemble», raconte l’autrice qui s’est inspirée de ses heures de conversations pour en faire de la poésie. «Les poèmes se lisent séparément, mais ils forment aussi une histoire. C’est une sorte d’utopie pour moi que d’aller vers des modèles de changement, d’espoir».

«Nous aurons des couteaux nous saurons nous défendre», «ça, ça vient de l’une des intervenantes, la plus jeune d’ailleurs, qui m’avait dit “je ne comprends pas. On nous apprend à faire attention si on met une mini-jupe, mais au lieu de nous dire ça, pourquoi on ne nous donnerait pas un couteau?”», se souvient Julie Delporte. «Virginie Despentes, dans King Kong Théorie, raconte qu’elle avait un couteau, mais qu’elle n’a pas su s’en servir au moment de son viol. Je pense que dans l’utopie, il ne s’agit pas de transpercer un agresseur, simplement de devenir ce danger-là. Qu’on a le couteau et qu’on pourrait le faire».

Dans son utopie à elle, ce sont aussi les hommes qui changent. «Les agresseurs plutôt», reprend Julie Delporte qui ne souhaite pas pointer du doigt quelqu’un en particulier. «Les agressions sexuelles, l’inceste, les féminicides, devraient être de vrais sujets politiques. Ça suffit que les victimes aient honte», répète-t-elle.

De la lumière dans l’obscurité

Si le contenu de Décroissance sexuelle est né de la collaboration de Julie Delporte avec Dare-Dare, c’est aussi grâce à elle que son éditeur l’a approchée. «Ça faisait longtemps que je voulais faire un livre avec L’Oie de Cravan. Quand ils m’ont dit que mes textes [de la résidence] étaient vraiment beaux, j’ai fait part de mon désir de les illustrer pour eux», rapporte-t-elle avec enthousiasme.

Pour eux, Julie Delporte aborde le changement de style en noir et blanc avec beaucoup de plaisir. «Ça m’a fait du bien de m’éloigner de la couleur un peu. J’aurais pu en mettre sur la couverture, mais je voulais rester dans l’esprit dark du titre.»

L’occasion aussi de s’essayer à une nouvelle technique, celle de la gravure à l’eau-forte. «On polit une plaque de cuivre et on l’enduit d’une couche de vernis qu’on grave avant de le plonger dans un bain d’acide. Ensuite on y met de l’encre et on passe la plaque dans la presse. Après il y a la coloration des noirs et des gris. Ça demande plusieurs étapes, un peu comme une recette de gâteau, et énormément de temps. Mais ça reste une expérience très méditative que j’ai adorée», explique-t-elle en détail.

Le résultat – tant des poèmes que des illustrations – est en tout cas remarquable. Et surtout, il nous fait réfléchir bien au-delà de la lecture.

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