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«The Crown», «Versailles»: quand les séries déforment la réalité

«The Crown», «Versailles»: quand les séries déforment la réalité
La saison 4 de «The Crown», série phare de Netflix sur la famille royale britannique, a mis le feu aux poudres, provoquant des réactions jusqu'au ministre britannique de la Culture. Photo: Collaboration spéciale

Vikings, Versailles, Chernobyl… et maintenant The Crown: à chaque nouvelle série basée sur des faits réels, la polémique sur le manque de rigueur historique reprend de plus belle.

Mise en ligne mi-novembre, la saison 4 de The Crown, série phare de Netflix sur la famille royale britannique, a mis le feu aux poudres, provoquant des réactions jusqu’au ministre britannique de la Culture, qui a demandé à la plateforme de mentionner avant chaque épisode qu’il s’agit d’une fiction. Netflix a refusé.

En cause: un traitement jugé partial du couple princier Charles/Diana, des dialogues totalement inventés entre des figures historiques comme Margaret Thatcher et la reine Elizabeth et autres libertés scénaristiques.

Le créateur de la série Peter Morgan est le premier à l’admettre: il a inventé des scènes, des dialogues, des événements, et a mélangé les faits. «C’est une fiction, pas un documentaire», a-t-il rappelé au quotidien The Times, pour tenter d’éteindre la polémique outre-Manche.

Pour l’historienne Marjolaine Boutet, «ce que recherche la fiction, ce n’est pas la vérité historique. C’est la vérité émotionnelle». «La fiction a toujours une part de réalité, et une part d’invention», souligne-t-elle.

Mais pour éviter les erreurs trop grossières, les réalisateurs peuvent faire appel à des conseillers —le plus souvent des historiens— chargés de «poser un cadre historique et de donner tous les éléments pour que la série soit la plus fidèle à l’Histoire», explique Mathieu da Vinha, historien et conseiller historique pour la série Versailles diffusée sur Canal+.

Cette série a «respecté les grands faits et thématiques du règne de Louis XIV», estime-t-il, même si les scénaristes ont largement privilégié les intrigues amoureuses de la cour.

Une des difficultés est d’imaginer des scènes privées et de leur donner une ampleur scénaristique, ou de se pencher sur des énigmes non résolues. C’est le cas, pour Versailles, de l’intrigue autour de l’homme au masque de fer.

«(Les scénaristes) cherchent en permanence à combler les trous», confirme Mathieu da Vinha.

«Pacte avec le spectateur»

Très critiquée lors de sa sortie pour ses incohérences et ses personnages caricaturaux, Versailles ne s’en est pas moins très bien vendue à l’étranger. Auparavant, d’autres séries comme Vikings, The Last Kingdom (l’Angleterre au temps des Saxons, fin du IXe siècle), et La Révolution ont elles aussi flirté avec les contre-vérités.

Pour Marjolaine Boutet, «ces libertés artistiques sont nécessaires. Le but d’une fiction, historique ou pas, c’est de produire de l’émotion, du sens et de raconter une histoire. Toute fiction s’inspire du réel pour être crédible».

Emmanuel Daucé, réalisateur de la série à succès Un Village Français, qui se déroule pendant l’Occupation, croit en un «pacte» avec le spectateur.

«Il faut faire confiance à l’intelligence des spectateurs, qui savent quand on est dans une série qui se veut très réaliste, ou au contraire qui permet de trahir l’Histoire», explique-t-il.

Epaulé par l’historien Jean-Pierre Azéma, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, il rappelle pourtant que «toutes les situations d’Un Village Français étaient complètement inventées (…), mais justes historiquement dans ce que cela traduisait de la vision de l’historien et du contexte de l’époque.» «Le rôle du spectateur, c’est ensuite d’aller regarder, vérifier les scènes et d’aller démêler le vrai du faux», ajoute-t-il.

Les fictions historiques comme The Crown ont en effet un rôle pédagogique important, selon Marjolaine Boutet, qui enseigne à l’université de Picardie.

«Cela permet, par exemple, aux jeunes d’entendre parler de la guerre des Malouines qu’on a complètement oubliée, ou de la brutalité des réformes du Premier ministre de l’époque, Margaret Thatcher. Cela ouvre à la curiosité et à la complexité du monde, bien plus que ce que l’on voit dans la presse people».

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