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Biz: Chute libre

Photo: Josie Desmarais/Métro Montage: Steve Côté

Il suffit parfois d’une «succession de petites malchances» pour que commence «la liquéfaction», le Naufrage. Pour qu’un homme trébuche. Ou plutôt, qu’on le fasse trébucher. Dans le gouffre de l’oubli. Limogé, déclassé, dans le fond du sous-sol. Là où le travail consiste à faire semblant de faire quelque chose. Biz, lui, ne fait pas semblant. Il dit. Des réponses, il n’en a pas. Mais il a une plume. Et de la compassion.

On aura beau l’enrober de sourires mielleux et de mots encourageants, le verdict qui tombe ce jour-là est sans appel. «Tabletté, tabarnak.» Sans même posséder le code, son «dernier espoir de dignité», ce satané code qu’il lui faut pour accéder à son ordi, le héros fonctionnaire imaginé par Biz est muté aux archives. Mais ça va. «Il a encore un salaire.» Et une femme magnifique, «gyroscopique», qu’il adore. Sans oublier leur bébé, leur garçon, sa fierté. Il a tout ça. Pour l’instant, ça va.

Or, pour l’instant, «on parle à l’imparfait, au passé composé», rappelle l’écrivain. Puis survient le pire. «Et tout est mis au présent.» Tandis que le temps s’étire, que s’égrainent les secondes, la douleur sourde du regret gronde. «Le personnage est englué. Il est là. Il attend. Il entend. L’effet que je cherchais, c’était de faire sentir à quel point c’est pesant. À quel point il n’y a pas d’issue.» Pas d’issue, non. Seulement les questions. Et les jugements qu’on porte. Sur soi, sur les autres. «Son cerveau a disjoncté. Il ne réfléchit plus. Il s’accroche au réel pour ne pas sombrer.»

«Tu roules sur l’autoroute, tu veux changer de poste de radio, tu renverses du café, tu te penches et tu prends le clos. Ça peut aller comme ça [claquement de doigts], la destruction d’une vie.»

Dans une scène de tourbillon d’hôpital, d’horreur, il voit sa femme, comme dans un brouillard, et note, oh, à quel point «elle est magnifique dans son tailleur anthracite». Réflexion d’un gars complètement déconnecté ou preuve d’un grand amour? «Un peu des deux, estime Biz. Il est dans la perception plus que dans la réflexion. Il dit: elle est belle. C’est factuel. Mais c’est au moment où elle est la plus belle qu’elle est la plus inaccessible. Ça accentue le tragique.»

Ce qu’accentue Biz aussi tout au long de ce Naufrage: les sonorités ambiantes, qui s’ajoutent à celles de la langue. «Je suis curieux de nature, remarque-t-il. J’aime noter des détails. Là, mettons, le ventilateur bourdonne, on entend le bruit des cuisines, il y a de la petite musique en arrière.» Là, c’est dans le resto où on se parle. Là-bas, dans le roman, il raconte plutôt «le message en morse» qu’envoient les talons d’une femme claquant impatiemment sur le parquet : «Lève-toi grosse larve.» Ou «des semelles d’espadrilles qui couinent sur le plancher», évoquant «un chaton se faisant étrangler».

«Dans un livre, il faut s’attarder aux cinq sens. Ça contribue à l’immersion dans un climat.» Parlant climat, dans son récit, la météo nous nargue. Ha, t’as vu, aujourd’hui il pleut. Si seulement ce jour-là il avait fait le temps qu’il fait maintenant. Si. SI. Ce SIIIII «qui nous ramène à l’absurdité de l’événement», explique-t-il. À cette scissure, «ce contraste entre l’avant et l’après». «Il y a de l’amour. Il n’y a plus d’amour. Il y a de l’humour. Il n’y a plus d’humour.»

Cet humour se reflète dans la première partie par les réflexions du protagoniste. Comme celle sur un pote au corps couvert de «poils abondants, mais mal répartis. Comme la richesse mondiale.» Ou sur ce boss qui touille «son café avec un linguini»: «L’écologisme est pavé de bonnes intentions!» Biz s’esclaffe à cette évocation, notant qu’«en général», lui-même aime rigoler. «Et je trouvais que ça allait avec ce personnage!» Ce qui allait bien avec lui aussi: son amour de l’écriture. «Le mécanisme qui le sauvera de la folie.» La constance dans sa chute. Car même sa maison, censée être un refuge, «suit son évolution psychologique», remarque l’auteur. D’«ambassade», elle devient «monastère», pour finir par être «mausolée, grotte, bunker». En parallèle, les tenues de son épouse se modifient: déshabillé, «scaphandrier», pyjama de Teletubbies. Les gens se «transforment en zombies, ajoute le romancier. Ils ne sont plus là.»

Car «Avant», s’il est question de morts-vivants, ce n’est que dans un célèbre jeu vidéo où des plantes en affrontent. «Ceux qui jouent à Plants vs. Zombies vont comprendre la référence! lance Biz. Moi, je suis un grand amateur!» Tout comme il l’est de The Shining («un des rares cas où le film est meilleur que le livre») qu’il mentionne en décrivant «le théâtre du travail». Ce lieu où, comme sur scène, on joue. La carte du gars épuisé. La carte du gars occupé. La carte du gars gossant. Mais parfois, les apparences sont trompeuses, sourit l’auteur: «Les gens sont surprenants quand on leur laisse la chance.»

Lui surprend et ravit avec ce quatrième roman dans lequel il parle du pardon, et de sa valeur selon la personne qui nous l’accorde. L’homme en toge ou l’amour de notre vie. Mais ce que l’auteur souhaite savoir surtout, c’est quel jugement nous réserverons, nous, à son protagoniste. «Le prendre dans vos bras ou lui crisser une claque sur la gueule?»

Alors?

Biz COVER NaufrageNaufrage
Aux Éditions Leméac

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