Lorsque l’argent ne fait pas le bonheur
Produit intérieur brut, revenu national brut, parité du pouvoir d’achat…autant d’indicateurs économiques utilisés pour mesurer le niveau de développement des États et effectuer des comparaisons et classements. Malgré l’introduction d’indicateurs prenant en compte d’autres variables du développement, tel que l’accès à l’éducation, la parité et l’espérance de vie, dans les dernières années, notamment sous l’impulsion du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et que des classements sont produits annuellement pour identifier les États où les gens sont le plus heureux, les décisions des États – notamment sur le plan budgétaire – restent collés aux indicateurs économiques.
Mais alors, comment expliquer qu’un État dont le PIB est 53e au monde, avec une croissance annuelle de 3.4%, soit également un État où 27% des enfants vivent sous le seuil de pauvreté, où on recense l’un des plus hauts taux de violences conjugales et sexuelles et le plus haut taux de suicide chez les jeunes parmi les pays de l’OCDE? Confrontée à ces questionnements, la première ministre de la Nouvelle-Zélande, Jacinda Ardern, est arrivée à la conclusion que des décisions politiques et budgétaires basées uniquement sur des indicateurs économiques ne sont pas synonymes de bonheur et de bien-être.
Avec son budget «bien-être», la Nouvelle-Zélande est ainsi devenue, en mai dernier, le premier État à déposer un budget dont les priorités sont établies en fonction de l’amélioration du bien-être individuel et collectif. Les indicateurs économiques sont conservés, mais s’y ajoutent des facteurs tels l’espérance de vie, le niveau d’éducation, la qualité de l’air et le sentiment d’appartenance. À ces nouveaux indicateurs sont attachés cinq objectifs : renforcement de l’aide en santé mentale; lutte à la pauvreté infantile; soutien aux peuples autochtones; développement d’une économie verte; et prospérité à l’ère digitale.
Au-delà des indicateurs et objectifs, le budget « bien-être » de la Nouvelle-Zélande est porteur d’une approche différente au processus décisionnel : non seulement le budget est enligné avec les priorités établies, mais les politiques qui seront mises de l’avant par les différents ministères devront également s’appuyer sur ces nouvelles mesures du succès économique. De plus, une semaine avant l’annonce du budget, la Nouvelle-Zélande a annoncé un investissement de 320 millions dans les services pour victimes de violence conjugales – un mois après l’entrée en vigueur d’une loi octroyant aux victimes un congé payé de 10 jours.
Ce changement de perspective quant à la mesure du bien-être et du succès économique en Nouvelle-Zélande n’est pas transformateur: les priorités budgétaires s’attaquent à des problèmes réels nécessitant une réponse immédiate, mais la cause des problèmes n’est pas adressée. Il n’en reste qu’en adoptant, à un peu plus d’un an des prochaines élections, le premier budget du genre, la Nouvelle-Zélande ouvre la porte à une transition douce, où l’argent n’est plus considéré comme unique garant du bonheur.