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La souillure du profilage racial

Photo: Archives
Alain Babineau et Mbaï-Hadji Mbaïrewaye - Collaboration spéciale

Ce mois de février 2021, le Québec célèbre le Mois de l’histoire des Noirs (MHN). À l’unisson, nous entonnons le refrain de la contribution des personnes noires et de leur participation à la société québécoise. Le profilage de Me Kwadwo Manoa Yeboah, à la veille du lancement du MHN, vient rappeler une autre réalité : la surveillance et la mise sous tutelle des personnes noires, considérées comme criminelles.

Le 28 janvier 2021, M. Yeboah a été interpellé par un patrouilleur du Service de police de la Ville de Montréal qui l’a accusé d’avoir utilisé son cellulaire au volant. Le patrouilleur lui aurait demandé d’emblée sa destination et si le véhicule lui appartenait. Il ne s’arrêta pas là. Il aurait fouillé également le portefeuille et le téléphone de travail de M. Yeboah, sans aucun mandat.

Pour en avoir été victime, l’argument d’ »usage de cellulaire au volant » invoqué par certains policiers est parfois un prétexte pour profiler les personnes noires. Il y a une logique raciale au sein de la police, qui tolère et protège les policiers et policières racistes. Le problème est institutionnel!

Cette pratique est du profilage racial; c’est à dire la pratique par la police d’utiliser la race, la couleur, l’ethnie ou l’origine nationale d’une personne pour déterminer s’il faut l’arrêter, la fouiller ou enquêter sur elle pour des activités criminelles présumées. Le scénario est connu. Un policier interpelle, souvent avec morgue et mépris, une personne noire au volant au motif qu’elle téléphonait en conduisant. Au mieux, le policier lui colle une contravention. Au pire, si la personne ose protester, cette dernière se retrouve les menottes aux poignets, cernée par deux ou plusieurs patrouilles de police. Elle se verra sans doute accuser d’entrave au travail du policier, voire même de voie de fait contre ce dernier.

Au cours des années, le profilage racial c’est institutionnalisé dans les services policiers. Dans son rapport «Le racisme au Québec: Tolérance zéro» publié le 14 décembre 2020, le gouvernement québécois préconise l’interdiction du contrôle policier aléatoire. Cependant, selon les Chartes fédérale et provinciale des droits et libertés, et les tribunaux, le profilage racial n’est pas seulement illégal depuis des décennies, mais il est aussi immoral!

Quel est le sens de cet acharnement policier? Fondamentalement, il s’agit de rendre illégitime la présence noire dans l’espace public, voire de l’éliminer. Ici, la personne noire n’est pas un.e citoyen.ne de seconde zone. Non, c’est pire que cela. Elle n’est pas considérée comme citoyenne. En cela, le profilage racial policier s’inscrit dans la logique de la négrophobie, ce racisme anti-Noir dont la visée est d’expulser la personne noire de l’humanité.

Certaines personnes de bonne volonté conseillent aux Noirs de protester calmement, sans colère. Or, face au profilage racial, la colère est un acte de résistance, d’affirmation de la légitimité de circuler librement dans l’espace public, de défense de la dignité souillée car, pour reprendre le philosophe Norman Ajari, le profilage racial est une « souillure de la dignité ». James Baldwin nous rappelle que les humains ne peuvent pas vivre sans dignité, et ils feront absolument n’importe quoi pour la retrouver. La souillure et l’humiliation sont la cicatrice indélébile que laisse le spectacle des interpellations raciales, car tout se passe comme s’il s’agissait d’un spectacle, d’une mise en scène : des voitures de police avec les gyrophares allumés, la circulation routière interrompue, des badauds qui observent et, certains, filment, etc. Ce spectacle est courant pour toute intervention policière, diriez-vous. Certes, mais quand on se sait innocent, il est particulièrement humiliant. Le Noir ainsi profilé est « marqué », comme l’esclave d’hier était physiquement marqué au fer rouge de façon indélébile.

Dans ce contexte, l’intention du législateur d’encourager la pleine participation des personnes noires dans la société Québécoise, comme il est écrit dans le préambule de la Loi proclamant le MHN, a du plomb dans l’aile. D’ailleurs, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse reconnaît que le profilage racial est « l’une des formes que prend la discrimination qui freine la pleine participation à la société québécoise des minorités racisées ». Ce mois de février est l’occasion de rappeler que l’intention du législateur ne sera réalisée que lors que tous les obstacles seront levés.

D’après Ted Rutland, le profilage racial au Québec est suffisamment étudié, et les solutions pour l’éradiquer sont connues. Il manque la volonté politique de les appliquer. Il faut en effet adopter les solutions durables et efficaces, à savoir des mécanismes indépendants de surveillance citoyenne de la police et la réduction des pouvoirs discrétionnaires des policiers.

En ce MHN et durant cette Décennie des personnes d’ascendance africaine proclamée par les Nations Unies, existe-t-il vraiment une justice pour les personnes noires au Québec? Comme James Baldwin nous le rappelle, c’est à nous « les Blancs relativement conscients et les Noirs relativement conscients » de mettre fin au « cauchemar racial » qu’est devenu le rêve de Martin Luther King. Les années 2021 et 2022 sont celles des élections. Nous devons faire de l’élimination du profilage racial un enjeu politique incontournable aux scrutins municipal et provincial.

Alain Babineau, (Ret) S.e.m de la Gendarmerie royale du Canada et conseiller sur le profilage racial.

Mbaï-Hadji Mbaïrewaye, politologue et ex-chef par intérim du parti municipal Démocratie Québec.

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