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L’éducatrice et le livre blanc

Photo: Archives
Sophy Forget Bélec - Collaboration spéciale

J’ai tout lu, tout écouté.

Voir le désaveu d’un ministre de la Famille, je ne peux m’empêcher d’être triste. Depuis des années, qu’on le mentionne que ça ne fonctionne pas.

En juin 2017, lors du dépôt du projet de loi 143, je me souviens m’être dit «Oh non, on atteint le fond.»
Les libéraux étaient alors au pouvoir. En voyant l’opposition aujourd’hui reprocher au ministre de la Famille tous les maux du ciel alors que ceux-ci sont responsables de la plus grande fermeture massive de services de garde non reconnue dans l’histoire du Québec, je ne peux m’empêcher d’avoir en tête la devise: JE ME SOUVIENS.

Rappelons-nous, du but ultime de ce projet de loi 143: améliorer le réseau des services de garde éducatifs. Il a en fait augmenté de façon phénoménale la charge de travail des éducatrices du réseau et a coupé les vivres aux éducatrices dites hors réseau.

«Enfonçons leurs dans la gorge qu’elles doivent être régies par un bureau coordonnateur pour mériter un tant soit peu de respect.»

Je vous écoute, donneurs d’opinion et oppositions politiques et je me demande, jusqu’où allez-vous prétendre comprendre mes éducatrices? Les éducatrices de «mon» réseau?

Je les côtoie de façon quotidienne et de vous voir donner 1001conseils au ministre sur comment freiner l’hémorragie, c’est joli. Leur avez-vous demandé pourquoi elles ont quitté? Ou vous vous êtes fié à L’AQCPE, au conseil québécois ou encore à l’un des syndicats qui les « représentaient» ?

Ces femmes-là n’ont pas quitté le réseau « public»pour se pavaner au privé sans suivre les règles. Elles l’on fait parce qu’elles étaient entrain de perdre leur humanité.

Vous savez, cette chose qui ne se légifère pas. Ce lien, entre deux humains qu’aucune loi ne peut encadrer.

Pour être éducatrice aujourd’hui, plus besoin de passion. Non. Vous savez remplir des papiers, désinfecter ou encore vous êtes habile en gestion documentaire? Vous serez à votre place. La passion, c’est devenu secondaire dans les prérequis.

La preuve? La pénurie et l’hémorragie.

Des éducatrices de 20 ans de service nous ont quitté cette année. Vous nous direz que la COVID y est pour quelque chose et pourtant je vous répondrai que vous avez faux. Depuis 2 ans, mes éducatrices ne peuvent plus se faire remplacer, donc vous comprendrez que oui, la tâche de COVID est d’autant plus exigeante, quand on ne peut pas prendre 1 journée occasionnelle pour se reposer après 60 heures de travail. Je ne vous parle même pas du profond malaise de devoir mettre 6 familles dans le pétrin lorsqu’on doit mettre notre santé de l’avant ou celle de nos enfants et aller à un rendez-vous. Ce n’est pas la COVID qui leur rentre dedans, ce sont les restrictions inhumaines qu’on leur a imposées pour les forcer à joindre un réseau qu’elles avaient quitté.

Les éducatrices travaillent pour et avec les parents des petits utilisateurs qu’elles côtoient quotidiennement sous leur toit. Vous savez, on entend souvent:

«Héboy, je ne ferais pas ta job!»

Si nous étions payés chaque fois qu’on nous le dit, on serait assurément riches. Le problème, c’est que les gens voient la tâche relative aux enfants. Ils disent ça sans savoir ce qui se trouve derrière ce métier. Le problème, ce n’est pas les enfants. C’est tout ce que la bureaucratie exige. Les ministres de la famille qui se succèdent veulent tous faire mieux et améliorer le sort des familles et des enfants. Ils consultent des juristes, des fonctionnaires, des représentants syndicaux.

Les femmes sur le terrain remplissent les conditions de façon exemplaire depuis 1997. Mais aujourd’hui, la situation a basculé. Elles ont probablement reçu le coup de barre de trop. Elles ont été poussées juste assez près du précipice, de sorte qu’en ce moment, elles chutent les unes après les autres, sans se consulter.

On ne l’avait probablement pas venu venir celle-là, en 2017, en entrant les enfants des éducatrices dans leur ratio et en abolissant le droit fondamental d’être remplacé pour nos enfants ou un repos après de difficile journée.

Ce jour-là, il y a clairement un fonctionnaire qui s’est dit: «Regardez bien la montée fulgurante des nouvelles places en milieu familial régi, elles vont toutes vouloir être reconnues pour retrouver une qualité de vie.»

Cet humain-là n’avait pas écouté les femmes de mon réseau. Il y a vu des chiffres, des lois, mais assurément pas des femmes remplies de passion et de cœur, qui ont simplement le désir d’être autonomes et indépendantes, en travaillant directement d’égal à égal avec les parents et enfants qu’elles accueillent.J’espère fortement que cet humain ne se permettra pas décrire dans le livre blanc qui est annoncé, parce que nous n’aurons rien vu. Le ministre Lacombe doit bien s’entourer et être à l’écoute de celles qui se dévouent corps et âme aux tout-petits au quotidien. Ce sont elles qui voient les impacts réels d’un simple règlement. Les éducatrices pourront-elles ajouter leurs couleurs au livre blanc?

Sophy Forget Bélec
Présidente
Association québécoise des milieux familiaux éducatifs privés

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