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Dans la cour des grands

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Jean-François Routhier - Collaboration spéciale

Quelle fierté que ce nouveau privilège d’aller flâner dans la « cour des grands », réservée aux élèves de dernier niveau de mon école secondaire! C’était en 1988. Depuis des décennies, les finissants du secondaire franchissent cette étape cruciale : se voir reconnaître la maturité certaine qui les propulsera vers le monde adulte. Si la pandémie aura malheureusement freiné certains rites de passage en 2020-2021, il n’en demeure pas moins que la nature humaine profonde nous pousse à rechercher cette émancipation, pour devenir des citoyens à part entière.

Si nos enfants ont l’art inné de la demande, de la négociation et du compromis, c’est aussi parce qu’elle fait partie intrinsèque de notre nature. Quoi de plus normal que de tenter de convaincre une autre personne de nous écouter, de considérer nos intérêts, des alternatives ou des options qui nous semblent favorables ? C’est la plus simple définition du lobbyisme que je puisse vous proposer.

Et oui, le lobbyisme, lorsqu’ accompli de façon transparente, et contrairement à ce que plusieurs peuvent penser ou écrire, n’a rien à voir avec la collusion ou la corruption. C’est une simple activité de communication humaine. En démocratie, la transparence s’impose quand il s’agit d’influencer les décideurs publics au bénéfice d’un client, d’une entreprise ou d’une organisation. J’insiste : quand il est bien encadré, le lobbyisme constitue un apport fondamental à notre démocratie.

Quel rapport avec la cour des grands du secondaire ? Simplement ceci : il est temps pour nous aussi de passer à autre chose, de s’émanciper et d’atteindre notre pleine maturité en matière d’encadrement du lobbyisme.

Cette semaine, l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) a émis son tout dernier rapport sur le sujet. Celui-ci constitue une mise à jour des principes d’encadrement énoncés par cette organisation mondiale il y a 10 ans. Le rapport cite explicitement le Québec et les efforts déployés depuis plusieurs années par le Commissaire au lobbyisme pour moderniser son cadre législatif.

Il reprend notamment l’aspect le plus fondamental du diagnostic et de l’Énoncé de principes que j’ai déposé à l’Assemblée nationale en 2019 : il est temps d’arrêter de se concentrer sur les individus qui font des activités de lobbyisme et d’évoluer vers un encadrement fondé sur la pertinence des communications d’influence pour les citoyens. Il faut en finir avec ces étiquettes nocives, ces grands titres et leurs épithètes négatifs, et se concentrer sur le véritable objectif de l’encadrement du lobbyisme : la TRANSPARENCE.

Au fond c’est ça. Juste ça. Partout, la transparence se traduit par l’obligation de divulguer les communications d’influence effectuées auprès des décideurs publics pour que les citoyens, en toute connaissance de cause, puissent interpeller les élus et les fonctionnaires et participer aux processus décisionnels publics.

Le Québec a régulièrement ce courage de se remettre en question. Cela démontre la maturité de notre société démocratique. C’est dans cet esprit que le Commissaire au lobbyisme a récemment conclu un partenariat avec l’OCDE, dans le but d’évaluer et de comparer notre régime d’encadrement du lobbyisme aux meilleures pratiques internationales en la matière.

Les recommandations qui en découleront permettront de tenir une série d’ateliers participatifs afin d’approfondir la réflexion collective sur le renforcement d’une culture de transparence et d’intégrité pour toutes les parties prenantes du lobbyisme au Québec.

Qu’est-ce que le citoyen doit savoir pour avoir une lecture éclairée des enjeux qui le concernent? Qui doit être imputable de la transparence? Y’a-t-il des représentations plus légitimes qui ne méritent pas d’encadrement? Voilà quelques-unes des questions qui susciteront notre intérêt au cours des prochains mois.

Il est évident que le registre des lobbyistes avait grand besoin d’être remis au goût du jour. Il est actuellement en pleine refonte technologique par le Commissaire, à la suite du Projet de loi no 6 adopté en juin 2019. La nouvelle plateforme sera plus conviviale, efficace, dynamique et permettra une diffusion en temps record des activités qui y sont divulguées. Mais sont-elles encore toutes pertinentes? Y’en a-t-il qui le seraient davantage? Aussi efficace que pourra devenir cet outil de divulgation, si nous attendons encore cinq ans pour nous questionner sur ce qui doit vraiment être divulgué, nous serons relégués en queue de peloton.

Plusieurs juridictions canadiennes parmi les plus actives ont révisé leur encadrement au cours des dernières années. Ainsi, la Colombie-Britannique, l’Alberta, la Saskatchewan et le Yukon proposent des versions beaucoup plus modernes de leur régime respectif. La commissaire fédérale vient elle aussi de proposer un ensemble de mesures pour moderniser sa loi.

Chez nous, le débat sur l’encadrement du lobbyisme a subi depuis des années une polarisation émotive (notamment entre le lobbyisme « noble » et le lobbyisme « mercantile »). Cela a malheureusement relégué au second plan les bénéfices de la transparence, tout en refroidissant les élus. Mais la définition même d’une activité de lobbyisme ne fait aucune distinction entre les « bons » et les « méchants » lobbyistes. Elle commande la transparence. Point.

Je suis bien conscient que le lobbyisme n’est pas un sujet populaire et qu’il ne suscite pas un sentiment d’urgence. Et j’admets qu’après plus de 14 mois de gestion en mode pandémie, il y a certes des priorités plus grandes. Mais je crois fermement que l’inertie n’est pas une option et qu’il faut profiter de cette opportunité extraordinaire de collaboration avec l’OCDE. Celle-ci est un tremplin pour élaborer un régime qui répondra pleinement aux attentes de notre société de même qu’aux meilleurs standards internationaux.

Ce dialogue collectif, piloté par une organisation réputée mondialement pour son impartialité, permettra à tous les intéressés de faire valoir leur point de vue. C’est un exercice de support à notre démocratie : le fondement même de la mission du Commissaire au lobbyisme et de la loi qu’il est chargé d’appliquer, au bénéfice de tous les citoyens.

Je suis convaincu que nous avons une occasion unique de faire du Québec l’une des juridictions les plus innovantes et transparentes en matière d’encadrement du lobbyisme. Nous avons la capacité réelle de nous positionner comme un véritable leader sur la scène canadienne et internationale et, à l’instar de nos finissants du secondaire, nous avons aussi le droit, mais surtout le devoir, de revendiquer notre place dans la cour des grands.

Jean-François Routhier

Commissaire au lobbyisme du Québec

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