Les voies ensoleillées
J’ai perdu mes élections. Une naïve défaite de jouvencelle qui ne croyait pas qu’on puisse la suspendre par les Fruit of the loom aux crochets du rack à serviettes dans le vestiaire et la laisser là, pendre quelques heures, à se faire sécher la gencive d’un vague «mayday» éructé aux cinq minutes.
Mais ça ira. On s’en remet toujours (ou l’on prend un train). Ce qui m’inquiète, toutefois, ce sont ces gens. Ces gens à qui on a, et de la plus cruelle des façons, arraché le divertissement gourmet du lundi soir. La petite bouée télévisuelle; celle qui aide à flotter jusqu’au pain doré du samedi matin. Parce que lundi soir, la soirée électorale a privé des milliers de téléspectateurs de L’Auberge du chien noir et de Yamaska. Et ces gens, poignard au cœur, ne se sont pas fait prier pour s’exposer la plaie sur les réseaux sociaux:
«Fais chier, mon émission ne joue pas ce soir à cause des élections.»
«Qui se prenne un poste à eux autre pi qi nous fouuute la paix.» (sic)
«Y aurais pu le dire d’avance à place de la journée même grrr.» (sic)
Téléspectateurs transis, je vous saisis. Rien, RIEN ne vaut un long brunch tranquille rempli de silences et de toasts qui croustillent sous les incisives de Chantal Fontaine, à se demander quand diable finira-t-on par revoir l’énigmatique Marthe ou si la jeune meurtrière pas futée de Granby sévira de nouveau.
Heureusement, dans cette immensité baignée de noirceur télévisuelle a jailli un puissant faisceau de lumière. Une lumière d’une grande beauté. De la cuisse de Jupiter et du Changement, Justin Trudeau a surgi. Nulles eaux crevées sur le siège passager ni cordon autour du cou; l’épisiotomie s’est déroulée dans la grâce et la photogénie.
Je ne fais, depuis quelques jours, pas un coin de rue sans qu’on encense la plastique facile du nouveau premier ministre. Alors que les Américains nous félicitent goulûment d’avoir élu «ce hottie», la France parle déjà de «Djostine» et sa famille comme du nouveau clan Kennedy, un clan qui sait, et Dieu le bénisse, choisir le bon tricot de mohair pour poser sur la photo du mois de novembre de son calendrier «gauche glamour». Mon favori demeure néanmoins le premier ministre indien qui tweetait fébrilement, l’œil humecté de nostalgie-caramel: «J’ai de tendres souvenirs de ma rencontre avec vous.»
DE TENDRES SOUVENIRS.
Il n’est donc pas étonnant qu’ici, quoique endeuillés de L’Auberge du chien noir, on se bombe aussi le torse d’avoir si bien choisi. Qu’on célèbre les traits communs de Justin avec le prince de La petite sirène à grands coups de «séparés à la naissance» rassérénés. Standing ovation pour de si jolis cils.
Parce qu’au-delà de la parité ministérielle, de la culture, des femmes autochtones et des discours bancals, thank God, il y a la beauté.
«Les voies ensoleillées. Les voies ensoleillées.»
Maintenant, si quelqu’un voulait bien venir me décrocher le fond de culotte du vestiaire, ce serait fantastique. Une dame vient de s’entreprendre le bikini.
La bise.