E. L. James, auteure de Cinquante nuances de Grey
«Tout cela porte sur les fantasmes, et les chiffres sont hallucinants. Les droits ont été vendus dans 41 pays.»
L’écrivaine Erika Leonard, plus connue sous le pseudonyme de E.L. James, est devenue un phénomène international en quelques mois à peine. Depuis que sa trilogie érotique – Fifty Shades of Grey (Cinquante nuances de Grey) est le titre du premier roman – a obtenu un immense succès, elle voyage partout dans le monde. Nous l’avons rencontrée au chic College Hotel, à Amsterdam.
Un tel succès doit vous étonner?
M’étonner? C’est un véritable choc! J’ai été particulièrement frappée par la rapidité à laquelle tout cela s’est fait. Le contrat pour la publication internationale a été signé avec Random House le 7 mars, et le premier livre était en librairie début avril.
Cinquante nuances de Grey a commencé comme une publication en ligne. Depuis, 15 millions d’exemplaires ont été écoulés. Les chiffres sont hallucinants. Les droits ont été vendus dans 41 pays, et les droits pour le film sont également vendus. Et tout cela s’est fait en si peu de temps. J’en suis encore étonnée.
Tout le monde répète que les femmes raffolent de votre livre. Avez-vous des lecteurs?
De plus en plus d’hommes lisent mes livres. Parfois, ils me disent des choses comme : «Merci mille fois pour ce que vos livres ont fait à ma femme!» Récemment, un homme de 71 ans m’a écrit pour me remercier. Mes livres lui ont permis de se souvenir de ce qu’on éprouve quand on tombe amoureux. C’était extrêmement touchant.
Les hommes ne sont-ils pas mal à l’aise de reconnaître qu’ils ont lu vos livres?
Ils ne me disent pas l’être. Mais moi, je suis mal à l’aise quand les hommes me lisent, parce que je n’écris pas pour eux.
Pourquoi cela vous met-il mal à l’aise?
Parce que cela porte sur les fantasmes. Quand je sors avec des amies et que nous parlons de choses comme la sexualité, je me sens parfaitement à l’aise. Mais quand je suis avec un groupe d’hommes… Je n’aime pas parler de sexe quand il y a des hommes autour. Imaginez-moi avec un groupe de producteurs d’Hollywood en train de discuter d’orgasme!
Avez-vous eu à leur expliquer l’orgasme féminin?
Non, je n’ai pas eu à le faire. J’étais gênée en raison des mots qu’on emploie pour parler de ces choses-là.
Mais vous avez écrit ces mêmes mots dans un livre!
Je ne l’ai pas écrit pour les hommes. En fait, j’ai écrit pour moi. J’ai eu beaucoup de plaisir à le faire. Une des choses que j’ai apprises est que je ne suis pas la seule à avoir ces fantasmes. Ça fait du bien.
Avez-vous eu ces fantasmes parce que vous étiez en train d’écrire cette histoire? Ou avez-vous commencé à l’écrire parce que vous aviez déjà ces fantasmes?
Bonne question. Je crois que c’est un peu des deux. Nous avons toutes rêvé de rencontrer un partenaire immensément riche qui nous achète tout ce que nous désirons. Mais les pratiques sexuelles un peu spéciales, elles, relevaient du fantasme. Quoique, après avoir fait quelques recherches, je me suis rendu compte qu’il ne s’agissait pas uniquement de fantasmes.
Est-ce que les pratiques un peu perverses que vous décrivez dans votre livre en expliquent le succès?
En partie, je crois. Il reste qu’il y a beaucoup de romans en librairie où l’on retrouve des mœurs sexuelles perverses. Les gens aiment les passages sexuels, mais ils aiment de façon plus particulière l’histoire d’amour passionnée. Selon moi, c’est l’histoire d’amour qui tient tout cela ensemble.
Avez-vous intégré tous ces passages sexuels pour éviter d’écrire une histoire d’amour conventionnelle?
Pas du tout. J’ai commencé à écrire en me posant une question : quand on rencontre quelqu’un qui est amateur de BDSM (bondage, discipline, domination, soumission, sado-masochisme) et qu’on ne connaît rien à ça, que se passe-t-il? J’avais lu certaines choses sur le BDSM et je m’étais dit : «Oh, ça a l’air dingue comme truc! Est-ce que je ferais de telles choses?» Et mon imagination s’est emballée.
Votre personnage masculin, Christian, aime toutefois le BDSM pour une raison.
S’il n’avait pas rencontré Ana, il aurait continué à être content de sa vie. Mais il y avait quand même un fossé immense : c’est un homme seul. Oui, il y a des raisons précises pour lesquelles il aime les pratiques perverses, notamment en raison de certains problèmes liés à des choses de son passé. Il reste que, dans la communauté BDSM, vous retrouvez énormément de gens qui ont eu une enfance extraordinaire et qui, néanmoins, aiment les pratiques sexuelles un peu spéciales. Tant que tout cela est sécuritaire et fait de façon, je dirais, raisonnable, je n’y vois aucun problème.
Était-il préférable pour l’intrigue que Christian ait ces problèmes?
Évidemment! Sinon, il n’aurait pas été intéressé par Ana, pour commencer. Je pense que son rapport avec les femmes change au fil du roman. Il a besoin d’elle.
Il est vraiment ennuyé par son questionnement, et peut-être les lecteurs finissent-ils par l’être également, non?
Je voulais me glisser en lui et j’ai pu le faire grâce au questionnement d’Ana. Elle le pousse à se découvrir. Et pour Christian, il est intéressant d’être mis au défi de cette façon. C’est nouveau pour lui, et effrayant. Tout le monde pense qu’Ana est vulnérable, mais elle ne l’est pas. Elle est forte. C’est lui qui est fragile. Ana est vierge sur le plan sexuel, lui est vierge sur le plan émotif.
Il est impossible de lâcher vos trois romans. Avez-vous écrit de la sorte de manière intentionnelle?
C’est un peu un hasard. J’ai commencé en écrivant un chapitre avec une fin où le suspense était le plus grand possible. Les personnes qui ont lu le roman en ligne devaient attendre une semaine pour lire le chapitre suivant. Plusieurs ont accroché. Ç’a été fantastique. J’ai beaucoup aimé jouer les allumeuses.
Ana a étudié la littérature anglaise. Y a-t-il une raison à cela?
Oui, et c’est parce que je suis Britannique! L’histoire a commencé comme une «fanfiction» [histoire s’inspirant d’un film ou d’une série dont l’auteur est un fan]. Comme il s’agissait d’une «fanfiction» de Twilight, j’écrivais sur des personnages américains. Je me suis dit qu’en créant un personnage qui avait étudié la littérature anglaise, j’avais une excuse si jamais une expression ou une tournure anglaise se glissait dans le texte.
Que nous réservez-vous maintenant?
J’aimerais réécrire le tout premier roman que j’aie jamais écrit. Ça va me demander beaucoup de travail, mais j’ai hâte de m’y mettre. Pour l’instant, il m’est impossible de trouver le temps de le faire. Je suis aussi très fatiguée. J’ai hâte que les vacances arrivent. Le reste du mois de septembre sera consacré à ma tournée promotionnelle américaine. J’aurai enfin l’occasion de voir Seattle et Portland de mes propres yeux.
Que pense votre mari de ce tourbillon?
Il adore ça! Il lit toutes les critiques et les entrevues, et quand il trouve quelque chose de drôle, il m’en fait part. Il a été d’un grand soutien depuis le début. Cela l’a aussi incité à écrire un roman. Il gagne sa vie comme auteur de séries télévisées. Je lui dis d’écrire un livre depuis 20 ans. Mais il a fallu que j’en écrive un pour qu’il se lance.
Lui avez-vous demandé conseil?
Absolument, et il m’a fait certaines suggestions que je n’aurais jamais exploitées autrement.
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Dans le film… Qui devrait jouer Christian?
1. Christian Bale. Il a prouvé qu’il pouvait jouer les mauvais garçons aux mœurs bizarres dans American Psycho. Et il a déjà le prénom!
2. Justin Timberlake. On lui doit quand même Sexy Back.
3. Alexander Skarsgard. Skarsgard a pour le moins une présence forte. De plus, sa relation avec Sookie dans la quatrième saison de True Blood indique suffisamment qu’il sait jouer les amoureux dévorés par le feu de la passion.
4. Daniel Radcliffe. Si le polyvalent comédien veut cesser d’être associé à Harry Potter, il devrait jouer ce personnage. Il est peut-être un peu jeune, mais après s’être mis à nu dans la pièce de théâtre Equus, il semble avoir la détermination nécessaire pour assumer le rôle.
… et Anastasia?
5. Katy Perry. Ses grands yeux la rendent extrêmement candide, mais est aussi capable de porter un bustier d’où jaillit de la crème fouettée.
6. Anna Gunn. La star de Breaking Bad est peut-être trop vieille pour le rôle, mais son aura de «mère lascive» permettrait aux femmes au foyer entichées de la série de s’identifier à elle.
7. Ellen Page. Si vous cherchez une comédienne pour un rôle principal délicat, vous pouvez toujours compter sur Ellen «Juno» Page.
8. Mila Kunis. Vous voulez attirer les hommes? Ces derniers seront plus qu’heureux de regarder un film avec Mila.
9. Kristen Stewart. Anastasia Steele est inspirée du personnage de Bella, dans Twilight. Et pouvez-vous penser à quelqu’un capable de débiter des dialogues plats sans aucune émotion mieux que Kristen Stewart?