L’automobile: un enjeu de plus en plus polarisant
Ne touchez pas à mon stationnement! C’est le message transmis par certains citoyens de Rosemont–La Petite-Patrie à leurs élus. L’arrivée de bandes jaunes aux intersections a titillé la corde sensible d’une frange de la population qui dénonce la diminution du stationnement et le manque d’alternatives à l’automobile. À l’opposé, une partie des résidents réclame davantage de place au piéton.
Une pétition rassemblant près de 700 noms circule depuis deux semaines pour demander l’arrêt du marquage au coin de rue et des constructions de saillies de trottoirs.
«L’arrondissement doit apporter des solutions qui répondent aux besoins de nos familles et doit prendre ses responsabilités et cesser d’imposer sa vision coûteuse, utopique et dogmatique», estiment les auteurs de la missive, qui dénoncent un manque criant d’espaces de stationnement.
La mise en application de l’interdiction de se stationner à moins de cinq mètres d’une intersection a fait déborder le vase déjà bien rempli de certains résidents.
Lors du dernier conseil d’arrondissement, le 2 novembre, les résidents se sont succédé au micro pendant trois heures, pour défendre ou attaquer les mesures de l’administration en place.
«La voiture peut être la corde la plus sensible après les enfants, même avant parfois, explique Florence Adenot-Junca, professeure associée au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM. Il y a comme une auréole autour de la voiture.»
Même son de cloche chez Laurence Bherer, une professeure agrégée en science politique de l’université de Montréal qui s’intéresse à la participation des citoyens à la gestion publique et à la démocratie locale.
«La question de la place de l’automobile va prendre de plus en plus d’espace, dans le débat public, à l’avenir et c’est vrai pour tous les quartiers centraux de Montréal. C’est certain que le conflit va encore plus s’exacerber dans le Plateau, Rosemont ou Villeray. Là aussi, une grogne commence à se faire sentir», avance Mme Bherer.
Un travail de pédagogie
Pour l’élu de l’opposition Marc-André Gadoury et l’indépendante Érika Duchesne, les changements de ces dernières semaines ont peut-être été trop radicaux.
«C’est sûr que de voir toutes ces mesures apparaître d’un coup sur le terrain, et de ne plus pouvoir stationner sa voiture, ça bouleverse la vie des gens», pense Mme Duchesne.
«Quand on veut implanter ce genre de mesure, il faut expliquer pourquoi, et dire comment cela va se passer. Mais, ça n’a pas du tout été fait» déplore, pour sa part, M. Gadoury.
Un argument que réfute le maire, François Croteau. «Cela fait un an et quatre mois que nous annonçons le dégagement aux cinq mètres. Cela faisait partie des 11 mesures que nous avions présentées lors de la dernière campagne en 2013 et lors du dévoilement de notre Plan local de développement», soutient-il.
L’exercice entrepris par les élus de Projet Montréal dans Rosemont–La Petite-Patrie se bute à une montée de la voiture, selon Mme Adenot-Junca.
«Ce ne sont pas de mauvaises mesures, mais à Montréal, le nombre de voitures est en augmentation continue malgré l’offre de transport. Il faut une phase d’adaptation et de concertation. Il faut savoir être ferme et flexible en même temps», pense l’ancienne présidente-directrice générale de l’Agence métropolitaine de transport (AMT).
En effet, la métropole a connu «une augmentation de 11 % de la motorisation en cinq ans, soit deux fois plus que la croissance de la population (5%)», selon l’Enquête Origine-Destination 2013 de l’AMT.
Proposer des solutions de rechange
Lors du dernier conseil d’arrondissement, certains citoyens ont confronté les élus sur la faiblesse des solutions de rechange offertes en matière de transport sur le territoire, notamment dans le quartier Rosemont.
«Nous devons être des facilitateurs pour créer des incitatifs et des mesures pour aider les gens, estime le maire François Croteau. On ne peut se surprendre que les gens soient obligés de prendre la voiture, car l’offre de transport en commun n’est pas suffisante.»
Florence Adenot-Junca, professeure associée au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM, ajoute que l’offre doit se faire à «l’échelle d’une ville» et pas seulement localement.
«C’est ce que Vancouver a fait, par exemple. Dans le cas de Rosemont–La Petite-Patrie, cela ne s’est pas fait dans les quartiers limitrophes. Il faut le faire dans une stratégie d’ensemble et offrir des services de Communauto ou de bus plus proches.»
La Ville de Montréal entend rapatrier la question du stationnement dans son giron et présenter une nouvelle politique globale d’ici la fin de l’année.
(En collaboration avec Gabrielle Brassard-Lecours et Catherine Bouchard)