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Une presse à l’agonie… qui survit grâce au gratuit

Photo: Getty

Il existe un cimetière de quotidiens américains sur l’internet. Newspaper Death Watch fait le décompte des titres ayant disparu au fil des ans. À l’article de la mort, le San Francisco Examiner aurait pu faire partie du cortège funèbre. Gratuit depuis 10 ans, il s’est offert un nouveau bail sur la vie.

«Au moins la moitié des quelque 1 400 quotidiens américains seront gratuits dans les prochaines années!» lance Stephen Buel, l’éditeur du journal fondé en 1865.

Scénario catastrophe ou planche de salut pour une presse écrite dont le tirage baisse de 8% annuellement? Sans compter que l’âge moyen d’un lecteur est de 57 ans. «Ce ne sont pas les quotidiens qui meurent, ce sont ceux qui les lisent!» précise Paul Gillin, le fondateur de Newspaper Death Watch.

Selon lui, le prochain quotidien sur la liste nécrologique pourrait être le Star-Ledger de Newark, le journal préféré de Tony Soprano, le mafieux du New Jersey de la série à succès de HBO, interprété par James Gandolfini, mort d’une crise cardiaque en juin.

Dans sa boule de cristal, Gillin voit ceci : pas plus de cinq grands quotidiens publiant encore sur du papier en 2025. «Il y aura sans doute des journaux, mais peu de quotidiens, à l’instar du Times-Picayune de La Nouvelle-Orléans qui ne publie plus que trois jours par semaine.»

Plus de 300 journaux gratuits dans le monde
Le déclin de la presse écrite américaine, plus prononcé qu’au Canada et en Europe, est accentué par des revenus publicitaires en baisse d’au moins 3 % annuellement.

Seuls les gratuits tirent encore leur épingle du jeu. Mais pas toujours. Le Baltimore Examiner a fermé ses portes en 2009 et le San Mateo Daily News (Californie), trois ans plus tôt.

On le voit, l’avenir des quotidiens gratuits n’est pas garanti. Il est fragilisé à tout moment par un marché publicitaire qui peut devenir morose du jour au lendemain.

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S’il y a aujourd’hui au moins 300 gratuits dans le monde (dont la moitié sont en Europe) totalisant plus de 40 millions d’exemplaires et 80 millions de lecteurs, seulement une quarantaine sont américains, même si l’un des tout premiers a vu le jour en Californie en 1947.

Le San Francisco Examiner est devenu gratuit en 2003. Il n’avait plus le choix. Son tirage au fil des ans était passé de 300 000 copies à moins de 100 000. Il fait désormais partie de la routine informationnelle des transports publics de la ville. Le dimanche, il est même livré à domicile. Il passe alors de 65 000 copies tous les jours, du lundi au vendredi, à 265 000 exemplaires.

«La livraison à domicile est un exemple à suivre pour les quotidiens américains voulant devenir gratuits et n’ayant pas de transports publics développés», croit d’ailleurs Buel.

Le sort du SF Examiner s’est joué une première fois en 1880 lors d’une partie de poker. George Hearst, le gagnant, l’offrit aussitôt à son fils, William Randolph, qui devint vite le plus grand baron de la presse américaine et inspira Orson Welles pour son Citizen Kane.

Le «monarque des journaux» (c’est sa devise!) ne s’intéresse guère à l’information internationale. Même si la nouvelle de «l’au-delà» est proche. La tragédie de Lac-Mégantic a été résumée en un petit paragraphe. L’Ex répond à un public qui s’intéresse à ce qui se passe à San Francisco. Six journalistes bataillent ferme pour faire le journal et tenir tête à la centaine de reporters du San Francisco Chronicle (300 000 copies).

«Pas besoin d’avoir une grande salle de rédaction. La nôtre a été passablement réduite en 2011 pour baisser ses coûts d’opération. Le journal est aujourd’hui économiquement viable [il a acheté l’an dernier un hebdo gratuit, The San Francisco Bay Guardian] et chacun dans la salle n’a qu’un seul souci : faire du bon journalisme», insiste Stephen Buel.

L’an dernier, 2 600 reporters ont encore perdu leur emploi dans les journaux américains. Mille deux cents journalistes œuvraient au Los Angeles Times il y a 10 ans. Il n’en reste plus que la moitié et le quotidien peine à trouver un acheteur. Les groupes de presse ne se bousculent pas au portillon. Huit d’entre eux ont d’ailleurs disparu ces dernières années.

L’information a toujours été chère à produire, mais à l’heure du «tout-gratuit», difficile d’avoir un vaste lectorat prêt à en payer le prix, sur papier ou sur la Toile, concluent Stephen Buel et Paul Gillin, qui restent fermes sur leur prédiction : ce sera la fin programmée pour bon nombre de quotidiens américains s’ils ne tournent pas le dos au payant.

Pas de pub!
Les quotidiens américains finiront-ils par devenir gratuits pour sortir de leurs difficultés financières? Michael Stoll ne le croit pas.

«Rien n’indique que la plupart des quotidiens américains soient prêts à abandonner les revenus provenant de leurs lecteurs pour dépendre entièrement des annonceurs», affirme le fondateur du San Francisco Public Press, un blogue écologique qui refuse d’ailleurs la moindre publicité. Il est financé essentiellement par des dons individuels et d’organismes.

La philanthropie viendra-t-elle un jour à la rescousse des médias américains? Certains experts le croient.

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