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150 ans de travail humanitaire contre la guerre et ses atrocités

Photo: collaboration spéciale

La liste des régions où des interventions humanitaires sont nécessaires s’allonge, en raison notamment des conflits qui s’éternisent. La Syrie, l’Égypte et le Liban s’ajoutent désormais au Congo, à la Colombie et à l’Afghanistan sur la longue liste de 82 pays où la Croix-Rouge, ou ses déclinaisons locales, est active. Dans le cadre du 150e anniversaire du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), cet organisme qui fournit une assistance humanitaire aux personnes aux prises avec les conséquences d’un conflit armé, Métro a discuté son directeur général, Yves Daccord.

Qu’est-ce qui explique la longévité du CICR?
D’abord, une idée extraordinaire et très simple qu’Henri Dunant, le fondateur, a eue dès le départ [en 1863] : toute personne blessée, peu importe la situation où elle est plongée et la violence qui fait rage autour d’elle, mérite de recevoir du soutien et de l’aide. Cette idée est liée à celle de proximité : le CICR a toujours pensé que l’aide humanitaire se fait en lien direct avec les gens, plutôt qu’à travers des partenaires. Enfin, la longévité du CICR s’explique par sa capacité de s’adapter, d’influencer et d’agir. L’organisation s’est adaptée, parfois difficilement, aux réalités de la guerre, qui ont beaucoup évolué depuis 150 ans.

Depuis la Guerre froide, comment votre travail s’est-il modifié?
La fin de la Guerre froide a, petit à petit, amené l’avènement d’un monde où on a beaucoup moins de conflits de dimensions internationales, mais davantage de violence et de conflits purement internes – à hauteur de 95 %. À l’époque, notre réponse était assez standardisée. On distribuait le même type d’aide partout dans le monde. Aujourd’hui, on doit cibler davantage nos interventions, en fonction des personnes affectées et des conflits. Par exemple, on s’est rendu compte qu’un des enjeux pour les victimes de la guerre était la disparition de leurs êtres chers. On a donc créé des équipes de médecins légistes, comme dans la série Les experts de Miami (CSI), pour aider à identifier certains corps et à retrouver les familles.

Comment les nouvelles technologies modifient-elles votre travail?
Le changement principal est attribuable au téléphone mobile. Les gens se renseignent, comparent et jugent ce qu’on fait. En outre, les nouveaux engins de guerre ne sont plus menés par des soldats sur le terrain, mais à distance. On voit ça avec les drones et, à moyen terme, il y aura de plus en plus de cyberattaques. Ça pose des questions majeures sur la façon d’intervenir sur le terrain.

Doit-on adapter les lois à ces nouvelles technologies?
Les règles de base sont incroyablement claires et vont rester pertinentes. Ce qui va changer, c’est la pratique. Au fond, si, demain, un État lançait un virus pour attaquer une centrale nucléaire d’un pays, il aurait la responsabilité de faire en sorte que ce virus ne s’attaque qu’à la centrale nucléaire, et pas, par exemple, à la centrale électrique ou à l’hôpital voisins.

On assiste à une multiplication d’organismes qui se disent humanitaires. Comment faites-vous pour vous démarquer?
Le côté confus et compétitif des différents organismes se voit beaucoup quand on est à Genève, mais sur le terrain, on ne le voit pas du tout. Dans les 82 pays où on a une action directe, on voit peu d’acteurs humanitaires. En Asie centrale ou en Afghanistan, il y a très peu de personnel humanitaire sur le terrain, par manque d’argent ou parce que l’accès est difficile…

Vous parlez de l’Afghanistan. Le CICR y est depuis une trentaine d’années, vous êtes en Colombie depuis une quarantaine d’années, au Congo depuis une vingtaine d’années… Est-ce qu’en «humanisant» ces conflits, vous les prolongez?
On essaie d’amener un peu de stabilité et d’humanité dans la violence. Ça peut paraître ridicule, mais on veut créer une dynamique pour que, dans la pire des situations, les gens gardent un contact entre eux.

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En ce qui concerne le financement, vos plus grands contributeurs sont des pays, notamment l’Europe et les États-Unis. Est-ce que cela vous lie les mains par rapport à certaines causes? Par exemple, la Chine vous donne des milliards pour faire de l’action humanitaire dans certaines villes africaines afin de lui faciliter l’accès à ce marché.
Ce n’est pas comme ça que ça se passe, du moins, pas aussi clairement. Près de 40 % de notre budget n’est pas attribué à des projets précis. Ces fonds nous permettent d’engager très rapidement nos moyens dans des situations d’urgence, mais aussi auprès de population ou de pays que les gens n’ont pas envie de financer. Pour être francs, peu de gens ont envie de soutenir notre travail dans les prisons, par exemple.

Le conflit syrien est-il particulier?
Ça fait longtemps que je n’avais pas vu un conflit où, pendant si longtemps, les deux partis continuent de croire qu’ils vont gagner militairement. C’est problématique, parce qu’ils n’ont aucune motivation à renoncer à la guerre ou à s’entendre. De plus, le conflit provoque un taux de violations et de souffrance particulièrement élevé. Les hôpitaux ont systématiquement été attaqués. On a volontairement, des deux côtés, empêché les médecins, les infirmiers et les ambulanciers de faire leur travail.

Le conflit a déjà des répercussions dans les pays voisins, notamment au Liban, où le nombre de réfugiés équivaut au quart de la population du pays. Pouvez-vous vous concentrer uniquement sur la Syrie?
En effet, ça met beaucoup de pression sur la Croix-Rouge et le Croissant-Rouge locaux. Il faut comprendre qu’on assiste à une révolution au Moyen-Orient. Et on a appris que les révolutions durent longtemps. Celle-ci sera douloureuse. Regardez des pays comme l’Irak ou l’Égypte; on peut prédire que les années à venir seront compliquées pour bien des gens.

Les frappes américaines seraient-elles bonnes pour la région?
Je comprends que les États doivent trouver des solutions au conflit et qu’ils veulent signifier leur désapprobation. J’ai toutefois des doutes à propos des frappes limitées et circonscrites. D’après mon expérience de la guerre, il y a rarement des actions militaires très maîtrisées où rien ne dérape. Je suis inquiet de ce que de telles frappes pourraient enclencher.

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