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Élections en Israël: «L’impossible retour à la beauté du sionisme»

Photo: Associated Press

Le Likoud de Benyamin Netanyahou, que rien ne semblait pouvoir dévier de la victoire au jour un de la campagne électorale israélienne, est aujourd’hui au coude à coude avec l’Union sioniste de centre-gauche mené par Isaac Herzog et Tzipi Livni. Sébastien Boussois, chercheur associé à l’Université libre de Bruxelles, spécialiste du Proche-Orient et auteur d’Israël entre quatre murs: le complexe de sécurité face aux Printemps arabes, a décrypté les enjeux du scrutin avec Métro.

Quels ont été les enjeux de cette élection?
Le scrutin ne s’est pas joué sur la question palestinienne, pas plus qu’il ne s’est joué sur la détérioration économique et sociale d’Israël. Les plus grandes manifestations de l’histoire du pays ont éclaté en 2011 pour protester contre la hausse du coût de la vie – un tiers des Israéliens vit sous le seuil de pauvreté –, mais Benyamin Netanyahou n’a rien fait pour changer les choses. Même si l’économie israélienne est florissante, le niveau de vie de l’Israélien moyen se détériore. Ces enjeux n’ont pas été abordés, étant étouffés par la question sécuritaire.

Le pivot central qui rend cette élection intéressante, c’est que le vote des Arabes israéliens [NDLR : qui composent 20 % de la population israélienne] va en déterminer l’issue. Leurs représentants se sont unis sous une même bannière : ils pourraient faire basculer les choses.

Seulement sept mois après la guerre de Gaza, la question palestinienne n’a sûrement pas été escamotée au cours de la campagne?
La seule frontière relativement stable à l’heure actuelle pour Israël, c’est la frontière palestinienne. Il n’y a pas eu de négociations depuis des mois, plus rien ne bouge, et Israël n’a aucun intérêt à bouleverser ce statu quo, alors que la région est plongée dans le chaos. Je ne vois pas pourquoi Israël voudrait faire des concessions en vue de créer un État palestinien: il est en position de force dans ce dossier.

Croyez-vous que les Israéliens refuseront, aujourd’hui, un troisième mandat consécutif à Netanyahou?
J’y crois moyennement. Depuis 15 ans, Israël s’enlise dans une politique d’extrême droite, discriminant tous ceux qui ne sont pas juifs ashkénazes [NDLR : les juifs d’Europe, principaux fondateurs de l’État israélien], adoptant des lois qui feraient sauter au plafond en Europe. Un grand intellectuel israélien, Zeev Sternhell, a même dit que le gouvernement israélien actuel est pire que le Front national de Marine Le Pen en France.

C’est donc impossible de revenir à ce dont beaucoup d’Israéliens rêvent, c’est-à-dire au retour à la beauté du sionisme, à l’État-providence égalitaire qui faisait fantasmer les juifs au début du XIXe siècle. Maintenant, il n’y a que les aspects les plus négatifs du projet qui subsistent, soit l’enfermement d’Israël dans une forteresse sécuritaire.

«Quand on regarde leur programme, je ne vois pas ce qui sépare le Likoud de Benyamin Netanyahou de l’Union sioniste: les deux s’opposent à ce que Jérusalem soit la capitale de deux États, les deux s’opposent au démantèlement des colonies»,
Sébastien Boussois, chercheur associé à l’Université libre de Bruxelles et spécialiste du Proche-Orient

Quelle sera l’issue du scrutin, selon vous?

Le véritable combat électoral n’est pas entre les partis majoritaires que sont, en gros, la droite et le centre-gauche, mais entre les partis minoritaires – ce que j’appelle les partis Kleenex –, c’est-à-dire des formations politiques qui émergent d’une élection à l’autre, mais qui disparaissent dès que la coalition dans laquelle ils prennent part explose, comme ç’a été le cas avec le parti Yesh Atid – qui a fait un score hallucinant, inattendu en 2013 –, mais qui, à long terme, n’avait aucune affinité avec un gouvernement de coalition composé de Benyamin Netanyahou, d’Avigdor Liberman [dirigeant du parti d’extrême-droite Israel Beytanou] et de Naftali Bennett [dirigeant du parti d’extrême-droite Maison juive].

Ce scrutin pourrait déboucher sur une nouvelle coalition de droite et d’extrême-droite, mais cette fois-ci Netanyahou ressortirait affaibli par un scrutin qui aurait failli lui échapper. Liberman répète à l’envi qu’il veut exterminer les Palestiniens [NDLR: début mars, Avidgor Liberman disait, en parlant des Arabes israéliens opposés au projet sioniste: «Il n’y a rien à faire avec eux – sinon prendre une hache et leur couper la tête»), tandis que Naftali Bennett se vante sans aucun complexe qu’il a déjà tué des Arabes…

La gauche, selon vous, n’a aucune chance de reprendre le pouvoir, après près de 20 ans d’absence?

Les personnalités politiques de gauche n’ont plus une grande cohérence en Israël, sauf celles qui sont radicales. Netanyahou, au contraire, n’a jamais dévié de sa ligne: et il passe même pour un modéré par rapport aux éléments les plus radicaux de son ancienne coalition. Liberman tient des propos scandaleux de manière récurrente; Naftali Bennett aussi: ils sont cohérents. La droite et l’extrême-droite sont contre l’État palestinien, contre le démantèlement des colonies, contre l’idée que Jérusalem puisse être la capitale des Israéliens et des Palestiniens : leur programme est clair et net.

Tandis qu’au centre du spectre politique, il y a des gens qui naviguent à vue, en fonction du vent et de la configuration régionale, comme Tzipi Livni ou Isaac Herzog de l’Union sioniste.

De plus, la gauche a toujours été schizophrène dans son idéologie et dans ses actions. Qui a été responsable de l’expulsion des 800 000 Palestiniens, sorte de péché originel qui suit Israël depuis sa création? C’est la gauche israélienne. Qui a déclenché la guerre de Six jours en 1967 et qui a enclenché la colonisation de ce que la droite appelle la Judée et la Samarie? C’est la gauche. L’électorat ne comprend plus rien à la gauche et au centre-gauche aujourd’hui. La gauche est malade de son passé.

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