Quatre pistes pour réinventer le tourisme post-pandémie
Les cas de COVID-19 baissent dans plusieurs régions du monde et les vols commerciaux ont repris. La manière d’être un touriste changera-t-elle au cours des années à venir? La pandémie pourrait bien avoir changé la donne. Le tourisme durable et «analogique» s’oppose désormais au «tourisme de monuments».
ANALYSE – Bien avant la crise sanitaire générée par la Covid-19, la situation du tourisme de masse, notamment dans certaines villes d’art comme Florence ou Venise, était hors contrôle.
L’activité touristique était tellement déréglée que les habitants de certains quartiers prisés — par exemple celui de la Boqueria à Barcelone ou du district Gion à Kyoto, connu pour la présence des geishas — donnaient le sentiment d’être dans une sorte de « safari humain ».
Un excès dans la « consommation touristique » était déjà reconnu avant la pandémie par les gestionnaires en tourisme et subie par les communautés hôtes, le tout se traduisant par une « boulimie de voyages sous l’emprise d’une voracité d’apparence ».
À l’aube de la prochaine saison touristique, l’enjeu véritable, tant touristique que moral, n’est pas de se questionner sur la possibilité de voyager. Il s’agit plutôt de savoir si l’on continuera à voyager comme on le faisait avant l’éclosion de la pandémie.
Si le contenu du voyage reste bien le même, c’est la manière de faire du tourisme qui pourrait changer. Saurons-nous adopter une façon de voyager qui soit plus responsable, écologique et humaine, tant pour le bien de la planète que pour les êtres humains qui l’habitent ? Dans la mesure où nous sommes toutes et tous des touristes lorsqu’on voyage, personne n’est exemptée de cette réflexion.
Doctorant en ethnologie et patrimoine à l’Université Laval, je mène des recherches sur le tourisme culturel et de masse, sur l’avenir du tourisme, ainsi que sur la diète méditerranéenne et les patrimoines immatériel et alimentaire de l’Unesco.
L’hibernation
La Covid-19 a modifié et pourrait continuer de modifier les comportements humains. Mais en ce qui concerne les « comportements touristiques », l’industrie vit en ce moment une forme d’hibernation, notamment dans les villes, en raison de la fermeture d’hôtels et de restaurants.
Parallèlement, on assiste à la saturation progressive des espaces naturels, par exemple en Gaspésie, où l’on assiste à un afflux de touristes attirés par les paysages balnéaires. Le maire de Gaspé a dit craindre que certains visiteurs campent où ils trouvent de l’espace, nuisant à l’environnement et dérangeant les habitants. Ce phénomène n’a rien de paradoxal, au contraire, il montre que la horde de touristes n’a pas disparu, mais s’est plutôt déplacée.
Au cours de 2020, plusieurs destinations ont souffert de l’absence de touristes. Cette « défaillance touristique » se voyait dans les titres des quotidiens : « Covid-19 : Venise se meurt », « Tourisme : l’Espagne revient au niveau de 1969 », « Désertée, la ville suisse de Lucerne nostalgique des hordes de touristes chinois ».
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Le sentiment de nostalgie éprouvé par les destinations où un tourisme de hit and run régnait semble paradoxal. Il s’agit là d’un type de tourisme particulièrement visible dans les villes considérées comme une destination de « journée » ou qui sont des arrêts sur les itinéraires de croisière. Dans le cas de Lucerne, en Suisse, les recettes touristiques allaient surtout dans les poches des commerçants de montres de luxe du centre-ville, populaires auprès des nombreux touristes chinois.
Au-delà de tout effet économique quantifiable, le tourisme n’est pas une activité exemptée des problématiques sociales. Bien que l’activité touristique soit plus félicitée que critiquée, il est impératif de se questionner quant à la possibilité d’un changement de paradigme dans ces pratiques afin de les réinventer. Nous proposons ici quatre pistes pour réinventer le tourisme de demain.
1. Le tourisme régénératif
Dans certaines régions du monde, on a remarqué pendant la pandémie que la nature avait repris ses droits. La faune est retournée en Thaïlande dans des lieux autrefois envahis par les touristes et la flore s’est régénérée grâce à leur absence. Ainsi, pour sauver la planète, devrions-nous arrêter de voyager ou, à tout le moins, voyager de façon à favoriser la régénération progressive des lieux (urbains, ruraux et naturels) ?
Les promoteurs de destinations devraient annoncer, conscientiser et faire respecter la capacité d’accueil d’une destination. Les touristes, de leur côté, devraient s’informer par rapport à ces limites et voyager en conséquence.
Comme le sociologue français Rodolphe Christin le propose, il vaudrait mieux partir moins souvent, plus longtemps et plus lentement, par exemple en s’offrant des vacances plus près de chez soi. Apprendre à devenir des « voyageurs du quotidien » permettrait, lors d’un voyage vers des destinations lointaines, d’appliquer la fameuse maxime de Jost Krippendorf, un des pères fondateurs du tourisme durable, « Ce sont vos vacances, c’est leur quotidien », prônant le respect que les visiteurs devraient avoir du lieu visité et des individus rencontrés lors d’un voyage.
2. Le tourisme (en) durable
Durabilité est désormais un terme galvaudé, qui a perdu de son sens. Dans son acception, durable signifie «qui dure dans le temps». Mais quel est le caractère durable du tourisme ? Comment s’assurer de la durabilité de ses pratiques ?
La durabilité d’un système pourrait se mesurer par sa capacité de reproduire ses caractères essentiels, pensons à la nature. Il s’agirait de limiter les externalités négatives et de considérer tout effet qu’a un système, dont le touristique, sur les autres.
L’arrêt du tourisme, forcé par la Covid-19, représente une opportunité de revoir ce concept. Si rien ne semble arrêter la machine touristique, à l’exception d’une pandémie, un adoucissement de ses excès et de sa densité pourrait être une des solutions pour atténuer ses effets potentiellement néfastes.
Un exemple est celui du parc du Mont Wright à Stoneham-et-Tewkesbury, dans la région de Québec. La grande popularité de ce site naturel a conduit la municipalité à limiter l’accès aux sentiers à 225 randonneurs en même temps afin de protéger l’environnement.
3. Le tourisme analogique
Comme dans nos habitudes de consommation relationnelles (des exemples sont représentés par les échanges continus sur les réseaux sociaux ou par l’instantanéité des messages), nous avons projeté nos habitudes de consommation dans la sphère touristique (visite rapide d’une destination et impact majeur sur les communautés hôtes).
Et si nous retournions aux « relations analogiques », celles à développer comme c’était le cas dans la technique de la photographie argentique ? Un tourisme ana-logique (du préfixe grec ἀνα — signifiant égal), donc un tourisme de « rapport égal » se développerait par la suite. Nous apprendrions de nouveau à profiter du moins, mais du meilleur (des voyages moins nombreux, mais plus longs et contemplatifs), bref d’un « retour aux sources » du voyage. La valeur de la découverte d’un lieu et de ses habitants serait au cœur du voyage.
Car la vraie différence entre le numérique et l’analogique est le temps : dans le monde analogique, tout a besoin de temps pour se développer, tandis que le numérique donne tout immédiatement.
4. L’éducation
Qu’elles soient économiques, pandémiques ou environnementales, les crises ont le potentiel de nous ramener aux valeurs essentielles. Les changements radicaux sont souvent rendus possibles grâce à un choc externe et la Covid-19 est une véritable secousse.
Nous avons l’occasion de construire une nouvelle normalité post-Covid et de réinventer le tourisme pour recadrer ses pratiques et apporter un changement systémique.
Ce que je propose est une approche pédagogique du tourisme à travers l’enseignement du tourisme dans les écoles (du primaire au secondaire) afin de « former » les visiteurs de demain et les conscientiser à des pratiques touristiques régénératrices, durables et analogiques. Ce n’est pas la seule solution, mais elle peut en être une et représenter un timide début.
Marco Romagnoli, Doctorant en ethnologie et patrimoine, Université Laval
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.