Amber Heard et le cliché de l’ex folle
CHRONIQUE – Je ne suis pas certaine que nous ayons le recul nécessaire pour appréhender le conflit entre Johnny Depp et Amber Heard. Le pirate des Caraïbes poursuit son ex pour diffamation, mais à en croire certains défenseurs de l’acteur et le mot-clic #JusticeForJohnnyDepp, il s’agirait plutôt de son procès à lui. Et quand je dis qu’on manque de recul, ce que je veux réellement dire, c’est que ça semble réconforter beaucoup trop de personnes de penser qu’Amber Heard soit l’ex folle et que Depp ne soit qu’une victime dans cette histoire.
Je sais, elle a ses torts, la violence envers les hommes existe, et, à la limite, leur histoire à eux ne m’intéresse pas. J’aimerais plutôt m’attarder à la figure de l’ex folle et au traitement médiatique qu’on lui réserve. Je suis déçue de nous. Je pensais qu’on avait évolué à la lumière de toutes ces fois où des femmes nous étaient présentées par les médias comme des déséquilibrées perdant leurs moyens face à l’échec amoureux. Qu’on s’en voulait d’avoir pris pour Justin Timberlake quand il nous chantait Cry Me a River, faisant passer Britney Spears pour la vraie méchante. Je pensais qu’on avait appris notre leçon quand Jian Ghomeshi avait tenté d’expliquer son licenciement de la CBC par des rumeurs qu’aurait lancées une «ex éplorée». Je croyais que le traitement médiatique qu’on avait réservé à Monica Lewinsky, crucifiée dans un scandale sexuel dont elle était en réalité la victime, nous ferait réfléchir. Et pourtant, on saute sur cette mise en récit réconfortante de l’ex folle avec l’enthousiasme d’un enfant devant ciné-cadeau à Noël.
Le mythe de l’ex folle est tenace parce qu’il repose sur des stéréotypes misogynes déjà bien ancrés: les femmes seraient moins en contrôle de leurs émotions, plus dépendantes sur le plan affectif, plus fragiles. Ces stéréotypes traversent même du côté de la psychologie, où l’on reconnaît que des biais sexistes auraient tendance à mener à un surdiagnostic de certains troubles de personnalité, notamment le trouble de personnalité limite, qu’on a accolé à Amber Heard.
L’ex folle est une figure surtout très commode, parce qu’elle permet à certaines personnes de se déresponsabiliser tout en minimisant les besoins émotionnels parfois légitimes de leurs ex-partenaires. Elle est la raison de tous leurs malheurs. Elle veut à tout prix les empêcher de s’épanouir dans une vie sans elle. Elle tente de leur extorquer de l’argent et menace de salir leur réputation ou, pire, de les accuser faussement de viol s’ils ne se plient pas à ses caprices.
C’est Médée qui tue la nouvelle flamme de son grand amour par pure folie. C’est Lyne la pas fine. C’est Amy dans Gone Girl. L’ex folle est partout dans la culture populaire, si bien que lorsque l’attitude d’une femme nous apparaît un peu décalée dans la réalité, nous adhérons facilement à l’idée que son comportement soit justifié par cette folie si typiquement féminine.
Si au moins l’idée qu’une ex soit atteinte d’un trouble de santé mentale nous permettait de mieux comprendre avec toute l’empathie qu’il le faut les sentiments et défis qui l’habitent, mais en fait, non. L’ex folle n’est pas aussi folle qu’elle est calculatrice, froide, manipulatrice et prête à tout pour parvenir à ses fins. Folle dans ce sens-là.
L’histoire d’Amber Heard et Johnny Depp est dérangeante pour toutes sortes de raisons. Ça serait beaucoup plus simple si Amber Heard était la victime parfaite capable de garder son sang-froid dans l’adversité. Ça serait si simple si Depp n’était pas l’acteur qui nous a charmés dans Édouard aux mains d’argent, mais le monstre qu’on imagine être capable de violence. La réalité est plus complexe. Mais s’il y a une chose dont on pourrait s’abstenir, c’est de céder à la tentation de prendre tous les éléments dont on dispose hors contexte pour brosser un portrait caricatural de la détresse féminine.