Dominique Anglade et la falaise de verre
CHRONIQUE – Vous connaissez le principe du «plafond de verre», cette barrière invisible qui empêche certaines catégories d’individus, notamment des femmes, d’accéder aux niveaux supérieurs de la hiérarchie d’une organisation, pour toutes sortes de raisons de plus en plus documentées. Par exemple, les biais inconscients et la répartition des tâches domestiques qui ont un impact tout au long de la carrière des femmes, creusent l’écart entre elles et leurs collègues masculins dans l’obtention de promotions et expliquent à terme les disparités de genre aux postes de direction.
Oui mais, vous allez me dire, il y a Sophie Brochu et Isabelle Hudon. On ne parle pas d’anecdotes ici, mais de statistiques. Les directions d’entreprises continuent d’être majoritairement occupées par des hommes pour les raisons énoncées plus haut.
Alors que les femmes accèdent de plus en plus aux postes de direction, un autre obstacle invisible se pointe sur leur parcours : la falaise de verre. La falaise de verre est cette vilaine tendance qu’ont les organisations à nommer une femme à leur tête une fois que la maison est en feu, que le bateau coule, que l’organisation est au bord du précipice. C’est le «Vas-y si t’es si fine que ça» corporatif. C’est ce qu’a vécu Dominique Anglade alors qu’elle était élue à la tête du Parti Libéral du Québec.
La falaise de verre accomplit deux missions : pourvoir un poste qu’aucun homme ne voudrait occuper alors que l’organisation est dans la tourmente, et démontrer de manière insidieuse l’incapacité des femmes. On met toutes les conditions en place pour qu’une femme échoue, et lorsqu’elle échoue, tel un Sylvain Marcel dans une vieille pub de Familiprix, on dit : «Ah ah!» comme si on avait pu prévoir à des kilomètres qu’elle se planterait.
Évidemment, personne ne dit : Dominique Anglade a échoué parce qu’elle est une femme. Mais on met l’accent sur ses défaillances personnelles plutôt que sur les défis inhérents à l’organisation. On minimise le fait que, bien avant qu’elle n’en tienne les rênes, le PLQ déclinait. Avant même que Dominique Anglade n’essuie le pire score de l’histoire du Parti Libéral du Québec, Philippe Couillard avait accompli cet exploit en descendant à 24,8% des suffrages, de même que Jean Charest en 2007 et en 2012.
Vrai, Dominique Anglade n’a pas réussi à donner cette nouvelle identité au parti libéral – un parti libéral plus progressiste, semblable à celui de Lesage – mais disons que redorer l’image d’un parti entaché par des années de corruption et de scandales n’était pas un petit défi. On a aussi reproché à Anglade la rigidité de son leadership dans trois circonstances depuis les élections : sa fermeture à reconnaître le PQ et Québec Solidaire comme groupes parlementaires à l’Assemblée nationale, son manque d’enthousiasme à abolir le serment au roi et, bien sûr, sa gestion de la député Marie-Claude Nichols.
En affaires, on dit qu’un homme fait preuve de leadership alors qu’une femme qui prend le même genre de décision est accusée d’être «bossy». Je me demande si la querelle entre Nichols et Anglade aurait été perçue de la même façon si c’est un homme qui avait montré la porte à une députée mécontente. En fait, je me demande si seulement une députée déçue de son affectation aurait remis en question la décision de son chef eût-il été un homme.
Ça fait parti des nombreux points d’interrogations qui jalonnent le parcours de leadership de plusieurs femmes et personnes autrement marginalisées. Est-ce que j’ai été choisie parce que je suis une femme? Est-ce qu’on remet en question mon autorité parce que je suis une femme? Est-ce qu’on m’évalue selon des doubles standards? On n’aura jamais de réponses claires à ces questions, mais chose certaine, ce sont là des questions que les hommes, eux, n’ont pas à se poser.