#MoiAussi: devant une poursuite pour diffamation, iel fait une levée de fonds
L’an dernier, l’humoriste Alexandre Douville intentait une poursuite pour atteinte à la réputation contre trois personnes l’ayant accusé en 2020 d’inconduites sexuelles dans le cadre de la campagne de dénonciations «Dis son nom». Aujourd’hui, l’une des personnes défenderesses lance une levée de fonds pour financer les frais judiciaires liés à la procédure en cours.
Sur la page du GoFundMe, le cabinet d’avocats DDC Legal explique que «l’argent ramassé servira à payer des expertises judiciaires (psychologie, sexologie et sociologie) requises pour la défense des intérêts de la personne survivante», dont le nom est anonyme à la suite d’une décision de justice.
Alexandre Douville réclame 119 000 $ pour dommages moraux et punitifs, mais aussi pour pertes de revenus à la suite des allégations portées contre lui sur Facebook. L’une des personnes visées, défendue par DDC Legal, bénéficie du régime d’aide juridique. Ce dernier plafonnant les montants disponibles, cela empêcherait «l’accès à la justice et une défense pleine et entière pour les personnes survivantes, alors que l’État se targue de travailler en faveur des victimes d’agressions sexuelles», croit l’avocat Daniel Crespo Villarreal.
Ce dernier dénonce ainsi «l’insuffisance du système d’aide juridique québécois ainsi que les angles morts dans la réponse étatique vis-à-vis le phénomène social des agressions sexuelles».
Des coûts exorbitants
Le cabinet d’avocats et la personne qu’il défend cherchent à récolter 9 500 $ «afin de combler le manque de fonds couverts par l’aide juridique pour ses expertises plus que nécessaires». D’autant que celle-ci, au chômage, est en proie à des difficultés financières. «On fait face à une double discrimination, c’est une personne non binaire qui a subi une agression et un traitement différencié en raison de sa condition sociale et de ses ressources financières.»
Ces expertises peuvent être diverses: sexologiques, psychologiques, sociologiques. «Quand on va au tribunal, il faut des experts qui viennent émettre des opinions par rapport à ce qu’il s’est passé. Il est pertinent de voir un psychologue pour évaluer les conséquences d’une agression sexuelle», explique M. Crespo Villarreal.
Juripop offre des services juridiques gratuits, notamment aux personnes victimes d’agressions sexuelles. Sophie Gagné, directrice de la clinique juridique, croit que si la personne poursuivie «se tourne vers une levée de fonds, c’est parce que [l’aide juridique] coûte trop cher».
«Le coût de l’expertise varie, mais c’est quelques milliers de dollars. Il faut que l’expert prenne le temps d’analyser la situation, de produire le rapport et de témoigner en cour, en plus des frais d’avocats», ajoute-t-elle.
Le régime d’aide juridique bientôt revu?
Le cabinet DDC Legal invite le gouvernement à repenser le système d’aide juridique. L’avocat Daniel Crespo Villarreal soutient qu’il y a «une certaine volonté de la part du barreau, et qu’il va de l’intérêt des justiciers et des citoyens d’avoir un système d’aide juridique fiable».
«Il y a un constat généralisé que le système juridique est caduc, insuffisant. C’est souvent à travers lui qu’on réalise certaines garanties constitutionnelles. […] C’est ce qui est discuté dans les comités ministériels sur l’actualisation du régime d’aide juridique. On assiste à un foisonnement de réponses sur comment adapter le système d’aide juridique à la société contemporaine.»
Là est l’ironie du système d’aide juridique: elle est accessible aux personnes à faible revenu, mais les expertises qui en découlent coûtent bien trop cher.
Bien qu’il fasse appel à des donateurs pour la financer, le cabinet d’avocats reste confiant. Il y a une «volonté gouvernementale de refondre l’aide juridique. On voit des initiatives de soutien aux victimes. [Le gouvernement] a par exemple créé un tribunal spécialisé en violences sexuelles et conjugales, mais il y a encore des angles morts, comme le régime d’aide juridique, quand celui-ci vient au soutien de la défense des victimes».