Qui est hypocrite? Républicains et démocrates se chamaillent pour la Cour suprême

Mitch McConnell Photo: J. Scott Applewhite/AP

WASHINGTON — Le mot qui commence par la lettre «H» — hypocrisie — est soudainement très à la mode à Washington, où les politiciens se querellent quant au siège libéré à la Cour suprême par le décès de la juge Ruth Bader Ginsburg.

Le leader de la majorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell, a promis que le candidat mis de l’avant par le président Donald Trump aura droit à un vote sénatorial «cette année», mais il s’est bien gardé de dire quand cela se produira.

Les démocrates accusent le républicain du Kentucky d’hypocrisie flagrante, puisque M. McConnell avait refusé d’étudier la candidature du juge Merrick Garland, que Barack Obama avait proposé pour la Cour suprême avant l’élection de 2016.

Le leader démocrate au Sénat, Chuck Schumer, s’est empressé lundi de rappeler à M. McConnell ce qu’il avait dit en 2016, quelques heures seulement après le décès du juge Antonin Scalia.

«Le peuple américain, avait alors déclaré M. McConnell, devrait avoir son mot à dire dans le choix de son prochain juge à la Cour suprême.»

Le siège libéré par le décès du juge Scalia ne devrait pas être pourvu avant l’élection d’un nouveau président, avait-il ajouté.

«Toute la sophistique du monde ne changera pas ce que McConnell avait dit à ce moment, et c’est encore plus pertinent aujourd’hui — puisque nous sommes tellement plus proches d’une élection», a dit M. Schumer lundi.

M. McConnell estime plutôt que ce sont les démocrates qui font preuve d’hypocrisie. Ce que les républicains ont fait en 2016 — bloquer le candidat de l’autre parti — «est exactement ce que les démocrates avaient annoncé qu’ils feraient eux-mêmes» quand ils détenaient la majorité, a dit M. McConnell, également lundi.

D’autres sénateurs républicains et lui ont cité un discours de 1992 dans lequel l’ancien sénateur Joe Biden, aujourd’hui le candidat présidentiel de son parti, estimait qu’un siège vacant ne devrait pas être pourvu en année électorale.

MM. Biden et Schumer, et d’autres démocrates, ont changé leur fusil d’épaule en 2016, selon l’interprétation de M. McConnell, quand ils ont incité le Sénat à étudier le candidat de M. Obama.

McCONNELL EN 2016

M. McConnell a stupéfait le monde politique en 2016, quand il a déclaré que le Sénat n’envisagerait aucun remplacement pour le juge Scalia avant l’élection d’un nouveau président… dans presque neuf mois. Même s’il s’agissait d’une décision audacieuse, M. McConnell estimait que l’histoire lui donnait raison.

«Souvenez-vous que le Sénat n’a pas pourvu de siège vacant lors d’une année électorale, quand le gouvernement était divisé, depuis 1888, il y a près de 130 ans», avait-il martelé en 2016.

Il avait aussi rappelé la «règle Biden» — que le Sénat n’a jamais formellement adoptée — selon laquelle le Sénat doit attendre après l’élection présidentielle pour combler un siège vacant à la Cour suprême.

«Le président Obama demandait aux républicains du Sénat une faveur inhabituelle qui avait été accordée pour la dernière fois près de 130 ans auparavant. Mais les électeurs avaient spécifiquement élu notre majorité pour contrebalancer la fin de sa présidence. Nous nous en sommes donc tenus à la norme historique», a déclaré M. McConnell lundi, en remémorant d’anciennes querelles pour la Cour suprême.

Si M. McConnell disait vrai, il omettait aussi un vote plus récent survenu en février 1988, quand le Sénat démocrate a approuvé la nomination du juge Anthony Kennedy à la Cour suprême par Ronald Reagan.

McCONNELL EN 2019

En 2019, avec M. Trump au pouvoir et le Sénat toujours entre des mains républicaines, M. McConnell avait dit qu’un éventuel siège vacant à la Cour suprême ne serait aucunement problématique pour le Sénat.

Quand on lui a demandé en mai 2019 ce qu’il ferait si un juge de la Cour suprême mourait l’an prochain, libérant un siège, il avait immédiatement répondu, «Oh, on le pourvoirait».

La principale différence? Contrairement à 2016, quand la Maison-Blanche et le Sénat étaient contrôlés par des partis différents, tous deux appartenaient cette fois aux républicains, a expliqué M. McConnell.

«Gardons en tête ce que je viens de dire, à savoir que le Sénat est du même parti que le président des États-Unis, a dit M. McConnell à Fox News en février de cette année. Et dans cette situation, nous confirmerions (un nouveau juge).»

M. Schumer trouve cela risible. Il a cité une lettre ouverte signée par M. McConnell en 2016, dans laquelle son adversaire implorait qu’on donne la chance au peuple américain de «se faire entendre quant à savoir à qui il fait confiance pour choisir la prochaine personne qui siègera pour la vie à la Cour suprême».

«Et aujourd’hui ces mots ne sont plus valables?, a demandé M. Schumer. Ça n’a aucun bon sens. On comprend pourquoi M. McConnell était autant sur la défensive dans ses commentaires.»

M. Schumer et d’autres démocrates demandent à M. McConnell de respecter sa propre norme.

«Ce qui est juste, est juste. La parole d’un sénateur doit avoir de la valeur», a dit M. Schumer.

M. McConnell a dit, dans son discours, qu’à un moment où «le peuple américain a élu une majorité au Sénat pour travailler étroitement avec le président en exercice, les antécédents historiques sont encore plus convaincants — en faveur d’une confirmation».

Il est arrivé à huit reprises dans l’histoire des États-Unis qu’un siège s’est libéré à la Cour suprême lors d’une année électorale, quand la Maison-Blanche et le Sénat appartenaient au même parti. Le candidat a été confirmé à sept reprises. La seule exception s’est produite en 1968, quand le président Lyndon Johnson a tenté d’élever Abe Fortas au poste de juge en chef.

La nomination de M. Fortas a été bloquée pour des raisons éthiques qui l’ont éventuellement contraint de démissionner du tribunal.

«À part cette exception étrange, aucun Sénat n’a jamais échoué à confirmer un candidat dans les circonstances qui sont aujourd’hui les nôtres», a dit M. McConnell.

«Le peuple américain a réélu notre majorité en 2016 et l’a renforcée en 2018 parce que nous nous sommes engagés à travailler avec le président Trump pour régler les problèmes les plus urgents de notre pays. L’appareil judiciaire fédéral était au sommet de cette liste», a-t-il ajouté.

M. Schumer est d’accord avec lui en ce qui concerne l’importance de l’appareil judiciaire.

«C’est là-dessus que porte cette (querelle), a-t-il dit. Tous les droits inscrits dans la Constitution et qui doivent être protégés par la Cour suprême des États-Unis (sont en jeu).»

«Le droit d’être en couple, de marier qui vous aimez, d’exercer librement votre droit de vote (…), d’avoir des soins de santé appropriés. Si vous vous préoccupez de ces choses et du genre de pays dans lequel nous vivons, cette élection — et ce siège vacant — a toute l’importance du monde», a dit M. Schumer.

Matthew Daly, The Associated Press


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