Nous, les Internets

J’ai hâte d’avoir des p’tits- enfants. J’ai hâte pour une raison toute simple. Pour pouvoir leur dire que j’étais là. J’étais là quand l’internet est apparu. Je ne suis pas né avec, il est né devant moi. J’avoue, j’ai aussi hâte d’être le grand-papa tannant qui leur donne des bonbons et du chocolat avant le souper.

MIRC, ICQ. Les premiers chats. Si ma mémoire est exacte, il y avait un chat room sur le site de la station de Radio Énergie. Tu voyais passer plus d’asv dans la fenêtre que de chums blasés au IKEA un dimanche après-midi. Si tu ne sais pas ce qu’asv signifie, y’a des chances que t’aies jamais chatté avec un inconnu, sans profil personnel, juste avec un nickname étrange comme cherryblosom34 ou Chattoncaramel67. Dans ce cas, fallait demander âge, sexe, ville. L’âge n’était, à 99 %, JAMAIS le bon. Même moi je me vieillissais toujours d’un an. Quinze ans? Ark! Seize, c’est plus cool. Un an plus tard…seize ans? Ark! Dix-sept, c’est plus cool.

Les premières vidéos virales. Les premiers «checke ça!». Dans le temps où, après qu’on t’avait montré la vidéo du Star Wars Kid, c’était fini. Il ne s’en suivait pas une demi-heure d’échanges de vidéos, de «Ah ben as-tu vu celui-là?», pis «OK, mais après je t’en montre une autre». Dans le temps qu’on savourait une vidéo virale comme nos grands-parents savouraient leur orange à Noël. La rareté rendait le moment plus juteux.

Les premiers blogueurs. Les premières chicanes entre les blogueurs et les journalistes old school qui écrivaient encore à la dactylo, fumant la cigarette avec un chapeau noir portant une affichette «PRESS» dessus. La porno. On ne fera pas nos enfants prudes. J’ai connu le début début. Une photo qui loade du haut vers le bas durant une éternité. «Beau visage, belle poitrine… beau…» Le terme «shemale» venait de faire irruption dans mon vocabulaire. (Si tu ne sais pas ce que c’est, demande! Tape pas dans Google!)

Je me sens privilégié d’avoir connu les débuts de l’internet et d’y avoir participé. Mais dans ma génération, avec ceux qui ont vu la bête venir au monde, je sens parfois plus de fierté arrogante que de sentiment de privilège. Comme si l’internet, c’était eux. C’était nous. Oui et non. C’est pas parce qu’on invente un nouveau jeu de balançoire dans le parc qu’on peut prendre le crédit pour toute l’infrastructure du parc, les modules, les carrés de sable. On a la chance d’avoir un parc pour jouer, pour créer. C’est un peu une «conquête», mais c’est surtout une chance.

Dans le fond, j’suis déçu. Déçu que, dans ma génération, y’a le même genre de tit-Jo conquérants que j’aimais pas chez les adultes quand j’étais ti-cul. Comme entendre un baby-boomers déclarer : «C’était moi ça, les révolutions, c’était moi!» C’était pas toi, t’étais juste d’accord. Aujourd’hui, j’entends : «C’était moi ça, l’internet!» C’était pas toi, t’étais juste blogueur. La chance de participer est souvent éclipsée par la prétention d’avoir innové.

Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.

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