Chacun son Narnia

Walmart. L’autre monde. Walmart, c’est comme un univers parallèle. Narnia a sa porte magique, Walmart a ses commis d’accueil. Ce n’est même pas un jugement, c’est juste une constatation. On voit des gens chez Walmart qu’on ne voit jamais nulle part ailleurs. Pas dans les restos, pas dans les bars ni les parcs, c’est comme s’ils ne faisaient que des allers-retours entre chez eux et Walmart. Ou peut-être qu’ils y vivent? Y a tout dans un Walmart pour y vivre sans jamais avoir besoin de sortir. Faque, ça se peut.

Ça me fait penser à quand j’habitais proche de la promenade Masson entre Saint-Michel et Iberville. Ce coin-là est magique. C’est une transition, une frontière entre deux univers où deux espèces bien différentes se croisent, mais sans entrer en contact. Y a du «aisé moyen branché» et du «moyen pauvre pas branché». Le décor parle de lui-même. Un pawnshop à côté d’une p’tite librairie. Une Belle province à côté d’un resto à sushis. Sur le trottoir, tu pouvais voir le p’tit couple, début trentaine, qui pousse leur poussette trois roues, avec un chaï latté dans la main. Et marche derrière eux la femme qui crie à ses deux p’tits monstres : «Avoye marche! Sinon t’auras pas d’hoy doy.»

Ce qui me fascinait, c’était que jamais les deux «espèces» n’entraient dans le monde de l’autre. Tous marchaient sur le même trottoir, savaient que l’autre existait, mais chacun allait dans son lieu, son environnement. Le p’tit café Lézard, café qui a inspiré la toune du même nom de Vincent Vallières, où des livres sont posés tout le tour des banquettes, tu n’y voyais jamais le même monde que tu voyais au p’tit resto style Belle pro «La corvette», coin 4e Avenue. Dommage, j’aurais aimé entendre Vincent Vallières chanter : «Au restaurant La corvette, la liqueur est frette, pis les frites sont fraîchement faites! T’es belle à soir avec ta couette!» (S’cuse Vincent, j’ai pas ton talent).

Quelques lieux étaient communs. Comme la Pharmacie Jean Coutu ou encore le Dollarama. Parce que, riche ou pauvre, éduqué ou pas, quand t’as mal à tête, ça prend des Tylenol. Puis une spatule à une piasse, c’est toujours un bon deal. Mais en général, chacun son coin. Comme une cour d’école, une cafétéria de prison, une agora de cégep.

Et ce n’est pas une question de prix. J’ai comparé, la moyenne de prix des plats au café Lézard et au restaurant La corvette est la même. C’est, je pense, une question d’esprit. Écouter de la musique à la radio, c’est le même prix, gratis, et ce n’est pas tout le monde qui écoute les mêmes chaînes. On aime se tenir avec nos semblables. On aime le bon, le beau, mais on aime avant tout le pareil. On aime être avec des gens qui partagent la même réalité, les mêmes illusions. C’est réconfortant. La tite madame se sent jugée au café Lézard, et le p’tit couple se sent méprisé au restaurant La corvette. Faque, chacun sa porte, chacun son Narnia.

Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.

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