La démocratie étudiante
Dans un monde idéal, je serais pour la gratuité scolaire. Je serais également pour la gratuité des garderies, des amphithéâtres, de la tarte aux pommes et d’un paquet d’autres affaires. Mais, voilà, on ne vit pas dans un monde idéal et, dans l’état actuel de nos finances publiques, je crois que l’État doit mettre ses bidoux – les nôtres – aux endroits où ça presse le plus.
C’est pour ça que je suis favorable à une hausse des frais de scolarité, en autant qu’on en profite pour faire du ménage dans la structure des frais, de l’aide financière et de la gestion des universités. Je l’ai écrit ici.
Ceci étant, et ça peut sembler bizarre, mais je ne suis pas antipathique au fait que des étudiants se rassemblent pour crier des bêtises à ceux qui les gouvernent. C’est parfois un peu primaire et n’importe quoi (certains manifestants brandissaient des drapeaux des patriotes…), mais c’est mieux qu’une future élite endormie. Et j’espère que leur sentiment d’indignation saura se maintenir, et qu’il pourra s’étendre aux problèmes des autres, et pas seulement aux leurs.
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J’ai cependant de grosses réserves sur certains aspects de ce qu’on appelle la « démocratie étudiante ».
Parlons d’abord du nombre d’étudiants en grève. Les médias ont docilement repris les chiffres fournis par la CLASSE, la FEUQ et la FECQ : 100 000, 150 000, 200 000 étudiants en grève. Wow!
Sauf que ça n’est pas tout à fait vrai. Prenons par exemple un extrait du communiqué suivant, publié par la FEUQ :
« MONTRÉAL, le 7 mars 2012 – C’est dans une proportion de 67 % que les étudiants de la Concordia Student Union (CSU), affiliée à la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), ont adopté un mandat de grève générale à partir du 15 mars prochain. Avec l’arrivée de CSU et ses 33 000 étudiants, c’est plus de la moitié des 125 000 étudiants membres de la FEUQ qui sont présentement ou qui ont le mandat de déclencher une grève (…) »
(pour ceux que ça intéresse, l’original est ici)
Ça a l’air fantastique, spontané, impossible à arrêter : les deux tiers des étudiants ont voté pour la grève. Même Stéphane Dion serait content d’un référendum aux résultats aussi clairs. 33 000 étudiants de plus ont accepté de se joindre au mouvement dans l’honneur et l’enthousiasme. Prends ça, gouvernement Charest!
Ce que la FEUQ a commodément oublié de mentionner, c’est que seulement 5 % des étudiants de la Concordia Student Union ont voté.
Oups.
Un peu plus de 1000 étudiants ont décidé pour les 32 000 autres (1152 ont voté pour, 557 ont voté contre pour être plus précis). On se rapproche du taux de participation anémique qui prévaut aux élections des commissions scolaires…
C’est ça la réalité des assemblées étudiantes. On met un maximum d’étudiants dans une salle, à un moment précis. S’y présentent ceux qui peuvent, et la salle est souvent réchauffée par une association très militante, qui présente une version des faits scandalisante et pas toujours complète. Je l’ai vécu une première fois en 1990, et en 2005, lors d’un retour tardif aux études.
Les opinions dissidentes ne sont pas les bienvenues, et le vote est tenu à main levée, avec ce que ça comporte d’aléas et d’aléatoire. L’important, c’est d’obtenir un mandat pour la cause, et tant pis pour le respect du processus démocratique (de toutes façons, est-ce si important, vu qu’on a raison?).
Dans les institutions d’enseignement où l’on a laissé le temps aux étudiants de voter, et en secret, le vote pour la grève a été pas mal moins enthousiaste, voire contre la grève.
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L’ampleur qu’a prise la grève étudiante et sa capacité à durer sont basées sur une fausse promesse : le gouvernement n’a pas le choix de faire demi-tour tôt ou tard, puisqu’il est impossible que la session soit annulée.
Ce mauvais raisonnement est basé sur le scénario de la grève de 2005. Le contexte est différent. Le gouvernement Charest était engagé à l’époque dans une série de saltos-arrières, qui inclurent la centrale du Suroît et la saga du Mont-Orford, et le projet de réingénierie, entre autres. Plusieurs de ces initiatives étaient difficilement défendables, et surtout très contestées dans la population.
Ce n’est pas le cas avec une hausse des frais de scolarité, dont le principe reçoit l’appui d’une majorité de gens dans l’électorat. Les leaders étudiants pourraient avoir de petites surprises, et des comptes à rendre lorsque la balloune va péter. Et si la session compte, quelle sera la valeur des cours qui auront été « réussis »?
En tous les cas, les leaders étudiants ne subiront pas eux-mêmes les inconvénients d’une session perdue : Martine Desjardins, la présidente de la FEUQ, est étudiante au doctorat. Gabriel Nadeau-Dubois, le principal porte-parole de la CLASSE, est étudiant à temps partiel. C’est plus facile d’aller à la guerre quand tu ne prendras pas les balles…
Comme plusieurs associations qui sont sous le chapeau de la CLASSE, de la FEUQ ou de la FECQ ont obtenu des mandats de grève illimités, ils n’ont pas besoin de revenir devant leurs membres, même si le gouvernement a formulé une offre en proposant de bonifier le régime de prêts et bourses et d’introduire une forme de remboursement de la dette d’études en fonction du revenu.
La moindre des choses serait de retourner consulter ses membres, non? Quel risque les leaders étudiants courent-ils à laisser décider ceux qu’ils représentent – j’insiste sur ce dernier mot – s’ils trouvent que les offres du gouvernement constituent une base de discussion intéressante? Que la réponse soit positive ou négative, l’important n’est-il pas que la voix des étudiants se fasse entendre?
C’est ce qu’un mandataire ferait. Et c’est ce qu’un idéologue ne fera pas.