Comment se battre contre une ombre…
Mikhaïl Gorbatchev avait tout de suite plu à Margaret Thatcher. «C’est un homme avec qui on peut faire des affaires», avait dit la Dame de fer dès sa première rencontre en 1984 avec le dernier dirigeant de l’Union soviétique.
Depuis les attentats de Paris, François Hollande fait le même constat avec Vladimir Poutine, qui le reçoit à Moscou demain. Avant le vendredi 13 novembre, son homologue russe était tout sauf un allié. «Il est l’allié de Bachar el-Assad [le président syrien], ce n’est pas la même chose. Il peut être demain […] un partenaire […] pour frapper Daech.»
Ce jour est venu. Au nom de la lutte contre le groupe djihadiste État islamique, le locataire de l’Élysée met désormais en veilleuse ses différends avec l’homme fort du Kremlin. Le changement de ton est le même à Washington. Barack Obama vient de qualifier Poutine de «partenaire constructif».
On le voit, les bases d’une coalition américano-russo-française prennent forme afin d’en finir une fois pour toutes avec EI qui, en juin, célébrait le premier anniversaire de son protoÉtat, le «califat». L’envoi de troupes au sol est totalement exclu. Pour l’instant. Il y a encore quelques semaines, il n’était pas non plus question de tendre la main à Poutine qui cherchait à replacer son pays au centre de l’échiquier international dans la crise syrienne.
Une victoire militaire contre Daech est-elle possible? Ces derniers mois, les djihadistes auraient perdu le quart des territoires conquis en Irak et en Syrie. Ses sources de financement (pétrole, «taxes», rançons prélevées dans les zones contrôlées, trafic d’antiquités…) commenceraient à s’assécher.
L’attaque de l’avion russe dans le Sinaï et les attentats de Paris sont-ils une fuite en avant pour le groupe terroriste? Marquent-ils le début de sa fin? L’invasion de l’Afghanistan a affaibli al-Qaïda et les talibans, mais ils ne sont toujours pas rayés de la carte.
Difficile de se battre contre une ombre, surtout lorsque l’Arabie saoudite «est le principal mécène de la culture islamiste», rappelait encore samedi, dans le New York Times, l’écrivain et journaliste algérien Kamel Daoud. «Daech a une mère : l’invasion de l’Irak. Mais il a aussi un père : l’Arabie saoudite et son industrie idéologique.»
De manière générale, la solution se trouve au sein même du monde musulman. Entre les sunnites majoritaires et les chiites minoritaires. Entre l’Arabie saoudite et l’Iran. L’affrontement fratricide entre les deux grandes branches de l’islam marque au fer rouge le Moyen-Orient. Autant, peut-être même plus, que le conflit israélo-palestinien. Washington, Moscou et Paris ne l’ignorent pas.
Sous le choc légitime de l’émotion du vendredi 13 novembre, François Hollande promet de «détruire» Daech. Plus facile à dire qu’à faire. Mais il faut croire à son éradication, car, comme le rappelait le maréchal Foch, figure emblématique de la Première Guerre mondiale, «accepter l’idée d’une défaite, c’est être vaincu».