Chronique (pas) nostalgique
Ça m’a fait un pincement au cœur quand j’ai appris la disparition de Jean-Paul L’Allier, puis de David Bowie, quelques jours plus tard, en rentrant de vacances. Pourtant, je n’ai pas l’habitude de m’émouvoir quand décèdent des politiciens ou des stars de la pop. Mais ceux-là étaient des bibittes rares. Même au sommet de leur art ou de leurs fonctions, ils semblaient œuvrer avec et pour le public, tout en restant férocement indépendants.
On connaît L’Allier comme le maire qui a remplacé du béton par de la verdure. Ceux qui l’ont côtoyé ont dit de lui que c’était un homme honnête et droit. En plus de tout ça (et c’est déjà beaucoup!), L’Allier semble avoir eu cette énorme qualité d’être libre intellectuellement. Il avait une grande culture et une indépendance d’esprit qui lui permettaient de penser au-delà des dogmes et des idées reçues. Je me souviens que j’ai sursauté d’étonnement en l’entendant dire, il y a quelques années, à contre-courant de l’évangile que nous avons l’habitude d’entendre dans la bouche de nos élites : «La croissance, ce n’est pas la même chose que le développement. Le développement, c’est harmonieux, c’est partagé.» Il a aussi encouragé «Monsieur et Madame Tout-le-Monde à aller en politique. C’est comme ça qu’on change les systèmes».
Lorsqu’il était maire, il consultait ses fonctionnaires, mais aussi des étudiants, des artistes, des jeunes pour comprendre ce qui les animaient, quels étaient leurs besoins, leur vision de la ville. Il a participé à la création des conseils de quartier de Québec, dont la tâche était de capter et de faire remonter vers les instances politiques la parole des citoyens de la ville. C’est aussi sous sa gouverne que la Ville de Québec s’est dotée d’une politique de consultation publique. L’Allier était un démocrate, car il avait confiance dans les gens. Il ne les regardait pas de haut.
On a dit de lui qu’il écoutait; quand il ne connaissait pas quelque chose, il se renseignait sur le sujet. C’était un dirigeant qui ne voyait pas sa tâche à travers une seule lunette (comptable, par exemple), mais bien dans toutes ses dimensions : sociale, économique, culturelle. Bref, humaines.
De la même façon, David Bowie a incarné la synthèse de l’intellectuel, du musicien, du metteur en scène et du critique social. Il jouait allègrement avec les normes sexuelles et artistiques, brouillant les frontières rigides imposées par l’époque. À ses débuts, la presse se plaisait à mépriser Bowie. Il avait cet air détaché de ceux qui veulent bien participer au cirque médiatique sans toutefois lui vouer un culte ou s’y soumettre complètement. On ne tolérait pas cette liberté totale qu’il affichait face aux forces économiques, sociales et morales de son temps. En se taillant une place au soleil, il a légitimé les déshérités, les anticonformistes et les hérétiques en tous genres qui se sont reconnus en lui.
Je ne regrette pas l’époque qui les a vus naître, une époque pleine de défauts, qui ne donnait pas leur juste place et reconnaissance aux femmes (voilà qui explique pourquoi tous les disparus célébrés ces dernières semaines sont des hommes). Je déplore cependant que notre époque n’érige pas assez souvent en modèle les hommes et les femmes les plus libres d’esprit.