Le monde à l’envers
Elle est passée inaperçue, cette motion, peut-être parce qu’elle n’a aucune force de loi. Mais elle a une force morale.
Les parlementaires canadiens ont voté en majorité en faveur d’une motion qui condamne le mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS). Depuis 10 ans, le mouvement international BDS fait campagne pour que les partenaires économiques d’Israël et les consommateurs étrangers de ses produits cessent leur commerce avec le pays. Ils veulent ainsi mettre de la pression sur l’État pour qu’il recule dans sa politique de colonisation de la Cisjordanie. Inspirés par le mouvement de boycottage qui a isolé le régime d’apartheid d’Afrique du Sud dans les années 1990, les militants de ce mouvement y voient un moyen efficace d’action non violente. C’est le «acheter c’est voter» de la politique internationale.
Présentée par les conservateurs et soutenue par une majorité du caucus libéral, la motion canadienne condamne «toute tentative de la part d’organismes, de groupes ou de particuliers du Canada de promouvoir le mouvement BDS ici et à l’étranger.» La motion vise à intimider les militants BDS, à les discréditer et à leur retirer leur droit de parole.
Pourtant, la politique officielle du Canada juge illégal le contrôle permanent exercé par Israël sur la Cisjordanie. Et comme l’a rappelé le professeur Rachad Antonius dans une lettre ouverte au ministre Stéphane Dion : «Le Canada a un régime officiel de sanctions contre 22 pays (…). Donc, exercer des sanctions pour amener un pays à se conformer aux normes du droit international est un moyen pacifique qui n’est pas tabou pour [le gouvernement canadien].» En bref, le Parlement veut bâillonner des organismes de la société civile qui exercent des pressions sur un pays dont le Canada reconnaît qu’il viole le droit international.
Cette motion est symptomatique de deux choses. Primo, les motions de censure sont de plus en plus populaires en Occident. On les réserve d’ordinaire aux discours haineux ou qui incitent à la violence. Mais il est devenu fréquent que les Parlements condamnent ou interdisent d’autres sortes de prises de parole par un effet de rectitude politique ou parce qu’elles déplaisent à certains groupes que l’élu veut satisfaire.
Secundo, il y a depuis 10 ans une sorte de décrochage des élus face au cas palestinien. Comme l’écrit le professeur Ilan Pappé dans Palestine (Écosociété, 2016), «un fossé sépare, d’une part, l’évolution marquée de l’opinion publique mondiale sur la question palestinienne, et, d’autre part, l’appui indéfectible des élites politiques et économiques occidentales à l’État juif. (…) Si bien que, sur le terrain, Israël a maintenu sa politique de dépossession et ne semble pas être à la veille de devoir en payer le prix.»
Cette déconnexion des élites est évidente dans les discours génériques de Stéphane Dion sur la Palestine. Lorsqu’il affirme que les deux parties ont des «comportements problématiques qui entravent les pourparlers [de paix] : les colonies israéliennes et les tentatives palestiniennes pour obtenir unilatéralement le statut d’État», il met sur un pied d’égalité les mesures diplomatiques désespérées des Palestiniens et la continuation de la colonisation israélienne. Il met sur un pied d’égalité un État qui opprime et un peuple opprimé.