Le visage de la pauvreté, du Honduras à Montréal
Voir la pauvreté dans les yeux d’un enfant… Au Honduras, comme chez nous, la pauvreté est bien présente, mais a un visage différent. Ici comme ailleurs, on tente de réduire ce phénomène en misant sur l’éducation. Portrait de la situation au Honduras, où la pauvreté est plus qu’évidente, et au Québec, où elle se fait plus sournoise…
Honduras, 3 septembre.
Dans la petite école d’une communauté ethnique vivant dans une montagne reculée de l’est du pays, une centaine d’enfants attendent impatiemment, pêle-mêle, qu’on leur donne leur repas quotidien. Un petit garçon, pieds nus, se fraye un chemin, réussit à voler un petit pain dans un grand panier et se sauve pour l’engloutir. Un autre, son assiette vide dans les mains, attend silencieusement son tour. Une fillette demande du lait, une autre court parmi les écoliers.
«Pour plusieurs enfants ici, ce repas sera le seul qu’ils auront dans la journée, explique Hetze Tosta, responsable des relations avec les médias du Programme Alimentaire Mondial (PAM) au Honduras. Pour d’autres, grâce à ce repas, ils en auront eu deux aujourd’hui au lieu d’un seul.»
Au Honduras, les deux tiers des familles vivent dans la pauvreté. Et des 7 millions de Honduriens, 3,3 millions ont moins de 15 ans. Les enfants sont donc nombreux à souffrir de cette réalité. C’est pourquoi le PAM, chapeauté par les Nations unies, est très actif au Honduras depuis 1999. Aujourd’hui, quelque 400 000 enfants dans 34 départements à travers le pays reçoivent un repas par jour.
Combattre un problème pour lutter contre un autre
Cette initiative d’alimentation scolaire n’a, par ailleurs, pas uniquement pour but de nourrir des bouches. «La faim, c’est un problème qui en engendre beaucoup d’autres», affirme Mme Tosta, ancienne journaliste hondurienne qui, en réalisant l’ampleur du problème dans son pays, a finalement décidé de se joindre au PAM il y a quelques années. Le PAM a en effet été mis sur pied pour attirer et garder les enfants à l’école en comblant des besoins primaires que les parents peinent à combler eux-mêmes. On combat un problème en luttant contre un autre : on cherche à diminuer la faim pour ainsi réussir à garder les enfants à l’école et les rendre plus aptes à apprendre.
Le bien-fondé de ce programme est d’ailleurs reconnu par le Canada, qui est un partenaire important du PAM au Honduras. Par le biais de l’Agence canadienne de développement international (ACDI), le Canada a investi 2 M$ l’an dernier et 2 M$ encore cette année dans cette initiative d’alimentation scolaire.
L’école buissonnièrebien populaire
Même si l’école est obligatoire pour les enfants de 13 ans et moins au Honduras, plusieurs parents n’envoient pas leurs enfants à l’école aujourd’hui. En 2005, quelque 125 000 enfants de 7 à 12 ans ne recevaient encore aucune forme d’instruction, selon l’Institut national des statistiques. En parcourant le pays, on ne peut que faire ce constat. À l’heure où ils devraient être en classe, un grand nombre d’enfants de tous âges jouent aux abords des routes, vendent de l’eau, des fruits ou des bonbons aux passants, ou mendient dans les grands centres. Malgré cela, les informations officielles affirment que le Honduras pourrait atteindre les Objectifs du millénaire en ce qui concerne l’éducation primaire universelle d’ici 2015. Le programme Édu-?cation pour tous, en place au Honduras depuis maintenant cinq ans et auquel le Canada accorde une aide financière, travaille en ce sens.
Beaucoup de chemin à faire
Mais pourquoi ne pas envoyer son enfant à l’école quand celle-ci est gratuite? «Pour un paysan qui a passé sa vie à labourer sa terre, à se faire un peu d’argent comme il peut et à entretenir sa maison, tout ce que ses enfants ont besoin de savoir dans la vie, c’est à faire la même chose», explique Salvador Sanchez, un Hondurien qui a pour sa part eu la chance d’aller à l’école.
Un grand travail de sensibilisation à l’importance de l’éducation reste donc à faire au Honduras. Un travail de longue haleine auprès d’une population dont 45 % des habitants vivent avec moins de 1 $US par jour. «Difficile de penser plus loin que le repas du soir ou du lendemain avec si peu de moyens», fait remarquer Salvador.
Quelques chiffres sont toutefois encourageants pour le PAM. Avant 2005, dans la région de Copan, on comptait environ 45 000 à 50 000 en?fants fréquentant les 72 écoles publiques, selon le maire de la région. Or, maintenant que le PAM est actif dans 70 de ces écoles (les deux autres étant autosuffisantes), le nombre d’enfants les fréquentant tourne autour de 80 000.
Montréal, 18 novembre.
À l’école primaire Saint-Rémi, à MontÂréal-Nord, les quelque 230
enfants qui viennent déjeuner au Club des petits déjeuners tous les
matins animent bruyamment une petite salle. Une jeune fille réussit à
rejoindre ses amis à une table, un bagel au fromage, un kiwi et un
verre de lait sur son plateau. Son voisin, qui n’a pas enlevé son
manteau, plus gros que lui, a déjà terminé son déjeuner et rigole avec
un autre garçon.
Bien que la pauvreté soit moins visible dans notre pays qu’au Honduras, elle est malheureusement une réalité ici aussi.
En
2008, selon le rapport sur la pauvreté des enfants et des familles au
Canada de Campagne 2000, 760 000 enfants, soit près d’un enfant sur 9,
vivaient dans la pauvreté. Deux pays, deux réalités, un problème
similaire.
Des besoins grandissants
Un problème qui se
reflète entre autres dans la demande grandissante des services du Club
des petits déjeuners, fondé il y a maintenant 15 ans. Alors que le club
n’était implanté au départ que dans une école de Longueuil, il offre
aujourd’hui des repas à 15 000 enfants dans 244 é?co?les primaires et
secondaires cha?que jour dans la province. L’arrivée du Club dans une
trentaine d’autres écoles est aussi prévue prochainement. «Nous avons
une liste d’attente d’écoles qui demandent notre aide partout au
Qué-?bec», affirme Sharon Balit, coordinatrice du secteur de
Montréal-Nord pour le Club des petits déjeuners. Nous ne sommes pas
portés à penser que nous avons besoin de services comme ceux du Club, à
Montréal… on est au Canada!»
En effet, malgré la richesse du
Canada, la pauvreté infantile demeure assez élevée au pays, étant de
plus de 10 % dans la majorité des provinces. «Ici, on pense que les
enfants n’ont pas faim, renchérit la Dre Louise Séguin, professeure à
l’UniÂversité de Montréal. Mais une bonne partie des enfants ne mangent
pas suffisamment. Et s’ils mangent, c’est parce que leurs parents se
privent.»
L’Impact de la pauvreté sur le développement des enfants
La
façon dont la pauvreté affecte le développement est différente dans le
tiers-monde et dans les pays développés. Mais d’une manière ou d’une
autre, la pauvreté laisse des traces et peut causer des torts
considérables. Voici quelques conséquences que peut avoir la pauvreté
chez nous :
• Une étude publiée dans le Journal of Epidemiology
Community Health montre que les enfants de familles pauvres risquent
d’accuser des retards de croissance.
• Des études ont montré
que les enfants pauvres vivant à Montréal ont davantage d’hormones de
stress que les enfants qui ne sont pas pauvres. «Un enfant qui vit dans
la pauvreté subit un stress qui se répercute sur son métabolisme et sur
son bon développement», explique la Dre Louise Séguin.
• Les
enfants de familles défavorisées sont plus rarement envoyés dans les
centres de la petite enfance. Or, des études montrent que les CPE sont
la clé pour aider les enfants défavorisés à quitter la pauvreté en les
stimulant et en leur donnant la maturité scolaire nécessaire pour
commencer l’école.
La ferme-école : faire d’une pierre deux coups
• Une initiative bien différente de ce que nous voyons chez nous, mais tout à fait adaptée aux besoins a été mise en place dans une école hondurienne des environs de Copan. Il s’agit d’un projet-pilote de ferme-école. Le directeur de l’établissement, six professeurs et
109 enfants entretiennent une ferme sur le vaste terrain de l’école. Une centaine de poules, des vaches et trois cochons sont soignés et nourris quotidiennement par ceux-ci, et un champ de maïs et de canne à sucre est cultivé. Les produits de la ferme fournissent ensuite un repas par jour aux enfants de l’école.
• Outre le fait que ce projet permet de remplir des ventres et apprend aux enfants à s’occuper d’une ferme et des animaux, il anime et accroche les jeunes. En plus de suivre les cours donnés par leurs professeurs, les jeunes ont diverses tâches à accomplir et trouvent leur compte dans l’une ou l’autre des activités. Les enfants développent aussi un grand sentiment d’appartenance et de fierté envers leur école.
• Le projet n’est cependant actif que dans une seule école au Honduras, étant donné sa complexité, l’énergie, et les ressources nécessaires qu’il demande. Le Programme alimentaire mondial fournit les ingrédients nécessaires pour compléter la préparation des repas, mais l’école doit se débrouiller pour le reste.
Ce reportage a été possible grâce a une bourse de l’ACDI-ACJ.