Le capitalisme de gauche
Selon Lucien Bouchard, dit le lucide autoproclamé, et Daniel Audet, du Conseil du patronat du Québec, il faut en finir avec les insultes. Faut argumenter poliment en faisant abstraction des vilains gros mots. Ça signifie que l’on ne doit pas traiter de criminels les banques et les grosses pointures qui détournent des milliards de dollars par année dans les paradis fiscaux afin de ne pas payer d’impôts ici. On va les appeler comment alors?
Faut pas aussi taxer les politiciens de complices de ces escrocs. Faut pas aussi crier des noms, comme exploiteurs, aux banques, aux pétrolières et aux pharmaceutiques. Même Stephen Harper doit être rappelé à l’ordre, lui qui a dit que l’on se faisait arnaquer par les pétrolières. C’est pas gentil du tout ça monsieur Harper! Faut pas appeler le gratin par leur véritable nom, faut seulement les louanger et en toutes circonstances.
Avant de demander aux autres respect et politesse, ces «donneux» de leçons de savoir-vivre devraient commencer par appliquer eux-mêmes ce qu’ils exigent des autres. Leur baratin qu’ils nous présentent sous un certain vernis scientifique et leurs concepts intellectuels primaires sont carrément une insulte à l’intelligence. À les entendre, le capitaliste et l’économie de marché n’ont que du bon. Ce sont de fabuleux systèmes économiques qui s’auto-disciplinent, s’auto-régulent, découlent de phénomènes naturels qui favorisent le bien commun et répartissent équitablement la richesse créée. La propriété privée de nos services publics, de nos ressources naturelles et de nos instruments collectifs est nettement plus avantageuse pour tous que la propriété collective. Vous m’en direz tant!
Vous voulez des exemples, en voici. Commençons par le maître du conservatisme qu’est George W. Bush qui se disait un partisan du «capitalisme de compassion». Vous conviendrez avec moi que les States sont loin d’être un modèle de compassion pour les autres pays et pour sa propre population. Ne voulant pas être en reste de slogan creux, Jean Charest a dit dans Le Journal de Montréal du 3 octobre 1999 : «Le libéralisme social doit remplacer l’État providence». N’importe quoi!
Et il y a le président français Nicolas Sarkozy qui est pour une «moralisation du capitalisme financier» (La Presse, 2 avril 2007) et la Chambre de commerce de Montréal qui veut «spiritualiser les entreprises» (Le Devoir, 28 septembre 2007). Vous commencez à piger, il y a le capitalisme de compassion, social, moral et spirituel. Oh, oh, attention, surtout pas de gros mots, ils vont prendre ça pour des insultes.
Quoi d’autres? Il y a Pierre Desrochers de l’Institut économique de Montréal qui, dans La Presse du 22 avril 2010 décrit sa savante théorie ainsi : «Le capitalisme écologique. Ce n’est pas le militantisme vert qui a permis d’améliorer la qualité de notre environnement, mais l’économie de marché». Je sais que c’est pas facile, mais faut faire preuve de retenue. Puis, toujours à l’Institut économique de Montréal, il y a Marcel Boyer qui nous propose le plus sérieusement du monde un : «Manifeste pour une social-démocratie concurrentielle» (Le Devoir, 8 septembre 2009). Son modèle «scientifique» demande de tout privatiser aux mains des affairistes et de mettre tous les pays et tous les travailleurs du monde en concurrence pour le plus petit commun dénominateur. Les transnationales vont gérer la planète pour le plus grand bien de tous.
Tiens, il y a aussi le professeur de l’Université de la Saskatchewan, Sylvain Charlebois, dont les théories sont souvent publiées dans La Presse et qui, le 19 novembre 2009, nous a pondu cette magnifique perle : «Des sommets futiles. Misons sur les entreprises plutôt que sur les gouvernements pour éradiquer la famine». Avec, en attendant, et selon l’ONU, deux cent millions d’enfants de moins de 5 ans qui souffrent de sous-nutrition, plus de 27 millions de personnes qui sont en situation d’esclavage et plus d’un milliard de personnes affamées, un cap historique. Faut pas s’inquiéter, le capitalisme de compassion et le libéralisme social vont s’occuper de tous les nourrir.
Il y a aussi l’ineffable Bernard Landry qui a dit : «Je suis un progressiste et non un socialiste» (Journal de Montréal, 23 novembre 2007). Un progressiste conservateur, s’entend! Toujours aussi rigolo! Un autre comique du même genre est Jean-François Lisée qui lui est «Pour une gauche efficace» (La Presse, 8 novembre 2008). Décodé, sa pseudo gauche efficace, c’est de la grosse droite. Dans le Devoir du 17 septembre 2007, on parle cette fois du «Capitalisme bienveillant», dans celui du 15 janvier 2007, Michel Ricard, ex-premier ministre de France postule «Le capitalisme éthique», dans Les Affaires du 3 février 2007 on dit entrer dans «L’ère de l’entrepreuneuriat responsable». Enfin, ma préférée a été publiée dans La Presse du 22 février 2009 et son auteur est Hans Kûmg, professeur de théologie à l’Université de Tubingen en Allemagne : «Le nouvel âge de l’éthique. La frénésie du profit au maximum est en train de faire place à la retenue et à la modération».
En attendant, Goldman Sachs est accusé de fraude aux États-Unis et en 2009, les dirigeants de Bank of America se sont versés quatre milliards de dollars en bonus et ceux de JP Morgan Chase 9,3 milliards de dollars, deux firmes qui ont reçu des dizaines de milliards en fonds publics pour éviter la banqueroute. Il y a aussi cette nouvelle de La Presse du 15 février 2010 qui me laisse songeur : «Goldman Sachs a aidé la Grèce à dissimuler l’ampleur de sa dette». Faudrait plutôt parler de tiques capitalistes plutôt que d’éthique. Pour d’aussi grands talents, peut-être que 9,3 milliards de dollars en rémunération à ces patrons c’est justement faire preuve de retenue et de modération selon monsieur King. Après tout, ils ont une famille à faire vivre!
Quelle hypocrisie. Essayez de nous faire gober de telles énormités n’est pas seulement insultant, mais méprisant. Faut pas rêver en couleurs. On n’a jamais pu et on ne pourra jamais réformer et humaniser le capitalisme car, dans son essence même, ce modèle économique carbure à l’exploitation et à l’impérialisme. La seule solution pour contrer les injustices et les inégalités liées au système capitaliste est de passer au socialisme comme plusieurs pays l’ont fait récemment dans le monde avec un succès éclatant (Brésil, Bolivie et Vénézuela). Amir Khadir de Québec Solidaire l’a dit : «Il est temps de remplacer le capitaliste» (Vents croisés, hiver 2010).
Une dernière hilarante parue dans Le Devoir du 29 mai 2010 : «Le rendez-vous des entrepreneurs sociaux (parrainé par l’Institut du Nouveau monde) : Changer le monde… une entreprise à la fois». Sont insignifiants ou vendus ou les deux. Essayez donc de changer BP, Wal Mart et Goldman Sachs, juste pour voir! Tant qu’à changer une entreprise à la fois, pourquoi ne pas commencer par elles? Une petite suggestion comme ça…