Vendre de l’eau du robinet: une pratique courante
L’intention de l’entreprise les Œufs d’or d’embouteiller de l’eau provenant du réseau d’aqueduc de Val-d’Or pour la revendre à des clients chinois a fait beaucoup réagir. Il s’agit toutefois d’une pratique courante au Québec, bien que controversée.
La compagnie Pepsi Cola embouteille l’eau provenant du fleuve Saint-Laurent, captée directement à partir de l’aqueduc de la Ville de Montréal, pour produire ses bouteilles d’eau de marque Aquafina. Elle subit toutefois un traitement au préalable pour le retrait des minéraux. Cette multinationale a utilisé 415 334 mètres cubes d’eau provenant du réseau d’aqueduc municipal en 2015 pour la production de ces différentes boissons, mais elle n’est pas seule; 42 entreprises utilisent à elles seules 2% de la production d’eau de Montréal.
L’eau du robinet de Malartic est embouteillée
Il existe par ailleurs déjà une usine d’embouteillage à Val-d’Or appartenant à l’entreprise La Source d’eau. Cette compagnie peut embouteiller jusqu’à 200 bouteilles de 18 litres à l’heure, mentionne-t-on sur leur site internet. «Ils prennent toutefois leur liquide à Malartic», explique le maire de Val-d’Or, Pierre Corbeil.
La Source d’eau s’approvisionne à même le réseau d’aqueduc de la Ville. «Ils prennent l’eau de Malartic et on leur impose un tarif pour ça. En 2016, on leur charge 0,006 $ par litre», explique Nathalie Touzin, directrice du Service de l’urbanisme et de l’environnement.
Martine Chatelain, porte-parole de la Coalition Eau Secours, un organisme qui s’implique pour la protection de l’eau au Québec, dénonce depuis plusieurs années cette pratique. «Environ 40% de l’eau vendue en bouteille au Québec est de l’eau provenant du robinet», s’insurge-t-elle. Les proportions seraient semblables pour le reste du Canada.
Aqueduc: la Ville a le dernier mot
Si une entreprise souhaite embouteiller de l’eau du robinet, c’est la municipalité qui a les pleins pouvoirs pour acquiescer ou non à la demande. «C’est une décision purement politique», explique la directrice générale de la Ville de Val-d’Or, Sophie Gareau.
Les deux ministères qui sont impliqués plus directement dans la gestion de l’eau sont très explicites sur le fait que la responsabilité incombe à la Ville. «Le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques n’a pas à donner son approbation à un embouteilleur qui s’approvisionne à un réseau d’aqueduc», tranche Frédérick Fournier, porte-parole régional pour le ministère. Du côté du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, qui est en charge d’inspecter les usines d’embouteillage avant leur mise en fonction, on précise «qu’une preuve écrite que la municipalité a donné son accord pour la construction de l’usine d’embouteillage» est toujours exigée avant de procéder aux inspections de préouverture.
Dans le cas de l’entreprise les Œufs d’Or, la Ville affirme n’avoir jamais donné son accord à la construction d’une telle usine et avoir transmis «un avis formel d’usage non autorisé» au propriétaire. Val-d’Or, qui a entamé des procédures judiciaires, fonde toutefois son plaidoyer sur le fait qu’une telle activité n’est pas autorisée dans le zonage agricole où est située l’usine.
Le propriétaire des Œufs d’Or n’a pas souhaité nous accorder une nouvelle entrevue à ce sujet.
Vers une entente hors cours?
La cause opposant la Ville a l’entreprise les Œufs d’Or, qui devait être entendue le 17 octobre à la cour municipale, a été remise pour possibilité de règlement. «Je pense qu’on est sur le point d’arriver à un règlement. C’est une proposition de la firme les Œufs d’Or qui devrait être à la satisfaction de la Ville», a expliqué le maire Pierre Corbeil, en marge du conseil municipal du 17 octobre. Il n’a pas souhaité donner plus de détails. «Quand il y aura des développements, ça va me faire plaisir de les partager. Au moment où on se parle, on en est encore à l’étape des discussions», s’est-il contenté de répondre. Le propriétaire de l’entreprise les Œufs d’Or n’a pas souhaité non plus commenter l’affaire.
Redevances
Les Villes comme Montréal et Malartic, qui ont fait le choix d’autoriser l’embouteillage d’eau du robinet, peuvent en contrepartie imposer une tarification pour l’utilisation de l’eau traitée par la Ville. «La tarification de chaque mètre cube au-delà des premiers 100 000 mètres cubes/an a été fixée à 57 ¢/mètre cube (0,00057 $/ litre)», explique Philippe Sabourin, relationniste à la Ville de Montréal.
Dans le cas où l’entrepreneur utilise plus de 75 000 litres par jour, il doit également verser une redevance au ministère de l’Environnement de 0,07 $ par mètre cube d’eau utilisé (0,00007 $/ litre). Le tarif est applicable à l’eau provenant d’un puits privé ou du robinet.
Ces redevances sont toutefois caractérisées de «dérisoires» par la Coalition Eau secours et encore plus particulièrement pour l’eau embouteillée provenant de l’aqueduc. «C’est très avantageux pour le « monsieur » qui met ça dans une bouteille. Ce que vous payez dans une bouteille d’eau, c’est moins de 0,02 $ pour l’eau et le restant c’est pour la publicité», soutient Mme Chatelain.