Métiers d’urgence: Où sont les femmes?
Il n’y a que 29 femmes sur les quelque 2400 pompiers qui travaillent dans les casernes montréalaises. Encore associés à des professions masculines, les métiers d’urgence sont boudés par les jeunes femmes à une époque où les recruteurs souhaitent pourtant diversifier leurs effectifs.
«Allez, allez!», scande Fany, une étudiante en techniques de sécurité incendie, aux filles de l’École secondaire Calixa-Lavallée venues s’initier aux métiers de pompier à l’occasion de la Foire des métiers d’urgence, pour elles aussi!, organisée au sein de l’établissement.
Comme Vanessa, élève en secondaire 2, elles sont nombreuses à avoir enfilé la tenue des soldats du feu pour se prêter à un exercice physique, lestée d’un équipement de près de 100 livres.
«J’ai déjà fait le parcours trois fois, raconte-t-elle, j’aime faire des trucs de garçon pour prouver que les filles sont aussi fortes et capables qu’eux».
Organisée en collaboration avec le Y des femmes de Montréal, la foire vise justement à diversifier les choix scolaires et professionnels des filles dans des secteurs qui sont encore aujourd’hui à majorité masculine, c’est-à-dire des emplois où les femmes représentent moins de 33 % des travailleurs.
«On veut diversifier nos travailleurs, mais les jeunes ne connaissent pas ces options de carrières qui restent méconnues, on est donc venu allumer une petite flamme en eux», indique ironiquement Anik St-Pierre, professeure au département de techniques de sécurité incendie au collège Montmorency et coordonnatrice de la campagne Les filles ont le feu sacré, une initiative visant à inverser la tendance.
Casser les mythes
Tel est l’objectif d’Anik St-Pierre et de ses collègues de la Sureté du Québec, du Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) et d’Urgences-Santé qui ont également participé à cette foire.
«C’est évident que la force physique est un des aspects à prendre en compte dans la sécurité incendie, reconnait Mme St-Pierre, mais ça prend aussi beaucoup d’empathie, des capacités de communications et un esprit de collaboration, qui sont des habilités traditionnellement développés chez les femmes», ajoute-t-elle pour déconstruire les représentations simplistes associées à ce secteur d’activités.
Des choix des parents aux stéréotypes de genre, «filles et garçons sont encore exposés à des influences systémiques qui limitent leurs choix de carrière», la rejoint Janic Galibois, coordonnatrice des services jeunesse au Y des femmes. «Or, on sait que les métiers traditionnellement masculins, comme ceux des technologies ou de l’ingénierie sont généralement mieux payés que les métiers dits féminins, comme le secrétariat ou le travail social», observe-t-elle.
Dans son étude sur les femmes et le marché du travail au Québec (2016), l’économiste Ruth Rose note d’ailleurs qu’une éducatrice à l’enfance ne gagne que 588 $ par semaine, contre 888 $ pour un homme travaillant en génie civil. Pourtant, les deux parcours professionnels ont demandé le même nombre d’années de scolarité, soit 14 ans.
«On veut ressembler aux communautés qu’on dessert»
Contrairement aux effectifs des services d’incendie, ceux du SPVM se sont grandement féminisés au cours des 20 dernières années, même si les hommes y sont encore deux fois plus nombreux que les femmes.
Si le SPVM cherche toujours à embaucher davantage d’agentes, il cherche aussi à séduire en priorité des personnes issues des minorités ethniques et visibles pour être en mesure de répondre plus rapidement aux appels.
«C’est vraiment important, surtout à Montréal, explique Ingrid Cataldo. Si on a une victime qui ne parle que créole, ça prend un officier qui soit capable de s’exprimer dans cette langue pour faire tomber toutes les barrières, pas juste de la langue, mais aussi pour mieux comprendre certains aspects culturels sur le plan psychologique, par exemple», illustre l’agente de recrutement au SPVM.
Une réalité qui concerne également les services de sécurité incendie. Mais, au Québec, il n’y a que 2 % de gens issus des minorités visibles qui y travaillent et ce sont quasiment tous des hommes. «À Montréal, il n’y a aucune pompière de couleur. En fait, il n’y en qu’une seule au Québec sur 18 000 pompiers et pompières», déplore Mme St-Pierre.
Si son élève Fany obtient son diplôme en mai prochain et qu’elle réussit à intégrer le Service de sécurité incendie de Montréal, comme elle le souhaite, elle sera la deuxième femme à y avoir été recrutée au cours des six dernières années.