Montréal «ville sanctuaire»: un mirage?
Annoncé par Denis Coderre il y a un an, mais jamais appliqué, le statut de «ville sanctuaire» de Montréal est actuellement à l’étude par l’administration de Valérie Plante. Les organismes commencent toutefois à s’impatienter et certains doutent de son efficacité.
La situation est urgente, estime Richard Goldman, qui œuvre au sein du Comité d’aide aux réfugiés (CAR). «C’est urgent, car malgré la déclaration de Denis Coderre, qui parlait de protection des personnes sans statut, elle n’est pas efficace en ce moment. Il n’y a aucune entente entre la Ville de Montréal et l’Agence des services frontaliers pour ne pas renvoyer les personnes sans statut».
Cette semaine, une femme sans-papiers, Lucy Francineth Granados, a été arrêtée à son domicile par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Elle se trouve actuellement au centre de détention de Laval en attendant son expulsion vers le Guatemala. Fatima Azzahara, membre de l’organisme Solidarité sans frontière, souhaite que Montréal joue son rôle de ville sanctuaire pour éviter ce genre de situation. «Ils ont un mot à dire. [Montréal] est une force qui peut influencer le gouvernement fédéral pour arrêter les déportations. Ils peuvent rendre la ville sanctuaire réelle», lance-t-elle.
Actuellement, les sans-papiers vivent dans le stress et la peur quotidienne d’être dénoncés et expulsés, raconte Mme Azzahara. Pour elle, la déclaration de la ville sanctuaire de l’ex-maire n’a fait que renforcer l’insécurité des immigrés sans statut. Faux espoir, déception, fausse information, la militante rappelle l’importance que les sans-papiers peuvent attacher à ce genre de déclaration en raison de leur statut d’extrême vulnérabilité.
«Il y a des situations où il faut être humain. Il faut qu’ils soient en sécurité pendant que leur situation se régularise. Il y a des femmes avec leurs familles et des enfants. C’est un stress insupportable. Criminaliser un sans-papier, c’est pas juste», dénonce Fatima Azzahara
La vie des sans-papiers qui occupent un emploi à Montréal est inhumaine, ajoute-t-elle. «Certains travaillent très longtemps pour être payés en dessous du salaire minimum. Certains sont menacés d’être dénoncés dans leur emploi. Des femmes sont harcelées sexuellement au travail et elles ne peuvent rien faire», énumère-t-elle.
Les enfants sont eux aussi touchés par la précarité de leur statut, même lorsqu’ils sont nés au Québec et ne connaissent pas le pays de leurs parents, où ils peuvent pourtant être expulsés, renchérit la militante.
Selon Fatima Azzahara, le statut de ville sanctuaire devrait permettre de protéger les personnes se trouvant dans la même situation que Lucy Francineth Granados.
Un statut qui n’a pas vraiment de sens
Symbolique, irréaliste, contre-productif, le statut de ville sanctuaire de Montréal est loin de faire l’unanimité. Il est plein de bonnes intentions, notamment celle de protéger les sans-papiers, une population très vulnérable, mais le statut de ville sanctuaire est plus compliqué à mettre en œuvre par une Ville comme Montréal, affirme la directrice de la Maison d’Haïti, Marjorie Villefranche. Cette dernière se trouvait en première ligne, cet été, lors de l’arrivée massive des demandeurs d’asile haïtiens.
«Si la ville sanctuaire peut permettre de donner des services aux gens, il y a déjà plein d’organismes qui le font», précise-t-elle.
«Je peux comprendre la position de la Ville, mais c’est politique. La métropole est le lieu qui reçoit le plus d’immigrants, et la manière dont les choses sont faites, elle n’a rien à dire là dedans», ajoute-t-elle, en craignant qu’une telle politique soit faite sur le dos des demandeurs d’asile, des immigrants sans-papiers et des organismes qui les aident.
Pour la directrice de la Maison d’Haïti, le statut de ville sanctuaire n’a pas vraiment de sens dans une ville comme Montréal, où l’immigration, l’éducation et la santé sont gérées par Québec, et les expulsions, par Ottawa.
«Pas juste des mots»
Un rapport sur le statut de ville sanctuaire et son application a été remis à la Ville, qui l’étudie actuellement. La mairesse, Valérie Plante, devrait présenter ses propositions dans les prochaines semaines.
«La ville sanctuaire, ce n’est pas juste des mots. On ne peut pas annoncer ça en conférence de presse sans s’assurer que les mesures ont été mises en place», a déclaré Mme Plante hier, ajoutant qu’elle ne souhaitait pas donner un faux sentiment de sécurité aux personnes sans-papiers.
De son côté, le gouvernement du Québec a légiféré en novembre dernier pour permettre aux enfants sans-papiers d’avoir accès à l’école gratuitement sans avoir à craindre que leurs renseignements personnels soient utilisés pour déterminer leur statut légal, sauf si un mandat a été émis contre eux, indique la loi.
Une des principales mesures de la ville sanctuaire aux États-Unis est la non-dénonciation des sans-papiers par les policiers municipaux aux services frontaliers. Or, à Montréal, cela est impossible, concède l’inspectrice à la prévention en sécurité urbaine au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) Caroline Cournoyer.
«S’il y a un mandat d’arrêt émis par les Services frontaliers contre une personne qu’on interpelle, on doit prévenir les Services frontaliers», explique-t-elle, ajoutant qu’il serait étonnant que la Ville leur demande de ne plus le faire. «La loi fédérale a préséance», insiste-t-elle.
À Toronto, les policiers ne vérifient tout simplement pas si un mandat a été lancé contre une personne. «Si ça marche à Toronto, ça peut marcher ici», croit Richard Goldman, du comité d’aide aux réfugiés. Pourtant, rétorque l’inspectrice Cournoyer, le pouvoir discrétionnaire des policiers de vérifier le statut d’une personne est régi par le Code criminel. «Ça ne se réglera pas au niveau du SPVM, mais au niveau provincial», précise-t-elle.