Les secrets de la vérité : aux frontières du réel
Les secrets de la vérité, nouvelle création du Théâtre du futur, nous amène derrière les portes closes, dans un univers mystérieux où se croise Jésus, Elon Musk… et peut-être Rémy Girard.
Fidèles à leur habitude, Guillaume Tremblay et Olivier Morin ont concocté une pièce qui réunit prédictions déjantées, réflexions sociales et franche rigolade.
Après avoir chanté le sentiment d’infériorité culturel des Québécois dans Clotaire Rapaille : l’opéra rock, mis en scène la mort de l’idéal souverainiste (et par le fait même celle de Gilles Duceppe, fauché par une souffleuse) dans L’assassinat du président et questionner nos rapports aux peuples autochtones dans Épopée Nord (à l’aide de clones de Fred Pellerin), les deux auteurs ont maintenant des ambitions galactiques.
«Notre trilogie du Québec était beaucoup axée sur l’inconscient collectif et la dimension politique qui y était liée. Ce nouveau cycle extraterrestre (entamé en partie dans leur création précédente, l’opéra-surf La vague parfaite) poursuit cette exploration du subconscient, de la façon dont il détermine nos croyances et notre rapport à la vérité», explique Olivier Morin.
Les secrets de la vérité plonge joyeusement dans l’univers de la conspiration et des forces obscures (Les extraterrestres? Les francs-maçons? Les Reptiliens? La Maison Columbia?) qui dirigeraient nos destinées.
Les créateurs ont eux-mêmes entouré la pièce d’un grand mystère, à tel point qu’une bonne partie de la distribution demeure secrète. Il nous a tout de même été possible d’apprendre que Navet Confit est de retour à la direction musicale et que Francis-William Rhéaume, Milène Leclerc, François Ruel-Côté, entre autres, vont partager la scène avec les deux auteurs.
«Est-ce qu’il y a Rémy Girard? Peut-être. Tom Cruise? La question est soulevée. Est-ce que Nicole Kidman va se présenter le soir du show? Sûrement. On l’attend», a laissé entendre Guillaume Tremblay.
«C’est la faillite de la confiance. Nous n’avons plus de compréhension partagée du réel. Tout le monde choisit ce qu’il veut croire en fonction de ce qu’il ressent. C’est aussi une pièce sur le deuil d’une vérité commune. Comment vivre dans ce nouveau paradigme où chacun pense son affaire? Il faut trouver une manière pour que ces univers réussissent à s’arrimer», confie plus sérieusement Olivier Morin.
«La vérité, ce n’est plus les faits, c’est une émotion, c’est ce qu’on ressent.» – Olivier Morin
«Il a fallu qu’on fasse appel à notre conspirationniste intérieur pour découvrir pour quelles raisons on se met à croire aux conspirations, ce qui nous séduit dans ces hypothèses.»
«Les conspirations offrent des réponses privilégiées aux questions fondamentales : “Qui sommes-nous? D’où venons-nous? Où allons-nous?” estime Guillaume Tremblay. Ce sont des questions de base de l’humanité qui sont à la source de notre angoisse existentielle, des questions auxquelles répondent normalement les religions.»
Cela explique peut-être la présence de Jésus (qui, selon nos informations, pourrait être d’origine extraterrestre) parmi les personnages principaux.
Au point de départ de la pièce, le Christ vient visiter dans un rêve érotique une certaine Cindyne Bournival, À sa grande surprise, cette «citoyenne lambda» se réveille enceinte jusqu’aux yeux, prête à accoucher.
«Elle devient une figure publique. On en rit ou on est fasciné par son histoire, résume Olivier Morin. Tellement qu’Elon Musk [fondateur de SpaceX et Tesla], qui rêve toujours de coloniser Mars, veut la rencontrer.» Voilà pour la prémisse.
Encore une fois, le tandem Tremblay-Morin fait bon usage de la culture pop pour bâtir ses personnages.
«Lorsqu’on prend des figures connues comme Elon Musk ou Jocelyne Cazin [présente dans Épopée Nord], c’est un peu comme utiliser la mythologie, confie Olivier Morin. C’est un raccourci. Dans la tête de tout le monde, ça sauve énormément de temps, parce que cette personne remplit déjà une fonction dans l’imaginaire collectif.»
«On choisit ces personnalités pour leurs qualités intrinsèques, pour la charge émotive qu’elles portent et l’affect qu’elles suscitent», ajoute Guillaume Tremblay.
Y a-t-il tout de même un risque de tomber dans la simple parodie?
«On vise avant tout à dire quelque chose, insiste celui qui est aussi membre des Gerry’s, groupe a capella rendant hommage à Gerry Boulet. On peut mettre des jokes à toutes les lignes, en autant que ça va dans le sens de ce qu’on dit. Même si la pièce était traitée différemment, plus sérieusement, le spectateur vivrait sensiblement les mêmes choses. On veut être dans la vérité pour amener les gens dans un voyage avec nous.»
«Il faut être rigoureux, insiste Olivier Morin. Nos pièces sont drôles, et on travaille fort à les rendre désopilantes. Le rire ouvre le cœur et la pensée. On profite de cette brèche pour aller taquiner les gens là où ils sont confortables. Prêcher aux convertis, c’est stérile, dire quelque chose avec quoi tout le monde est d’accord, c’est facile. Quand on réussit vraiment à gosser le monde, à pincer le petit coin du bourrelet qui dépasse, c’est là où il y a une réelle subversion.»
Comme toutes les créations du Théâtre du futur (le nom le dit), Les secrets de la vérité se déroule dans un avenir plus au moins rapproché.
«Le futur permet d’ouvrir les possibilités, les meilleures comme les pires, de se projeter, d’imaginer et de décider de quoi demain sera fait, constate Olivier Morin. En fait, ça parle beaucoup de nous et de notre époque, de la façon dont on envisage l’avenir.»
«Ça permet de s’affranchir du présent, renchérit son comparse Guillaume Tremblay. Ça débloque des choses dans notre esprit et nous libère des chaînes de la pensée actuelle.»
Les secrets de la vérité
Aux Écuries du 10 au 28 avril