L’instant présent
Chaque mardi, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.
Ligne 24, direction est. Nous sommes jeudi, il est 10h20.
Je suis intriguée par deux passagers auxquels je fais face. Assis côte à côte en silence, penchés sur un livre, de prières sûrement.
Ils sont vêtus de toges orange, portent au cou de longs colliers de billes de bois. Ils ont, j’imagine, rasé leurs cheveux. Mais je ne peux voir leur crâne puisqu’ils ont la tête couverte d’un étrange capuchon. Un trait blanc et fin descend le long de la crête de leur nez. Ils lisent avec recueillement.
Habituée de les voir énervés, sautillants, faisant tinter leurs petites cymbales pour appuyer leur litanie, je trouve intéressant ce matin de les observer dans ce contexte calme. Pour plusieurs, la seule vision d’un krishna rappelle automatiquement la ritournelle Hare Hare Krishna.
Mais aujourd’hui, ces deux disciples sont silencieux et immobiles. Monastiques. Ils ont quelque chose de si lointain, je dirais presque de médiéval. Même si, face à l’hindouisme et à l’Inde, on ne peut faire allusion à cette période de la même manière que nous l’inscrivons en Europe, je me permets cet écart, car peu importe la géographie, la religion et le siècle auxquels on se réfère, ce tableau demeure anachronique: ces deux hommes ne respirent pas le présent. Ils sont d’un autre temps.
Ils ont maintenant fermé les yeux. Je fais de même et pense un instant à ceux et celles qui s’amusent à recréer des batailles moyenâgeuses. Costumés, avec leurs épées de plastique et leurs gourdins en styromousse. Cette activité et cette passion m’ont toujours laissée perplexe.
Sans renier cette époque, je me dis qu’un chapitre de l’histoire marquée par la boue, une mauvaise dentition, l’absence de chauffage dans les chaumières et les actes barbares n’a rien selon moi qui puisse inspirer la nostalgie.
J’ouvre les yeux. Les krishnas sont toujours là. Suspendus quelque part entre l’an 1325 et 2014. Une sonate de Mozart s’évade de la radio du chauffeur.
Et je trouve franchement merveilleux qu’un morceau du 18e vienne si doucement s’inviter dans cet instant présent.