«État islamique n’a pas inventé la décapitation»
Une longue campagne militaire a débuté en 2001. Son objectif: éradiquer le terrorisme. Treize ans plus tard, Al-Qaïda est remplacé par le groupe État islamique, et l’Occident repart en guerre. Métro a décrypté la situation avec Rachad Antonius, professeur de sociologie à l’UQAM et observateur réputé du Moyen-Orient.
Dans son discours prononcé devant l’Assemblée des Nations unies, le président américain, Barack Obama, a promis la destruction du «réseau de la mort» terroriste. Croyez-vous que la voie militaire soit la bonne approche pour y parvenir?
Je pense, d’abord et avant tout, que cette promesse est un engagement formulé par souci de relations publiques. Pour quelle raison? Parce que Washington a donné un appui tacite à ce réseau, en fermant les yeux quand la Turquie et les monarchies du Golfe finançaient des groupes intégristes dans l’espoir qu’ils viennent à bout du régime de Bachar el-Assad, en Syrie. C’est un peu ce qui s’est passé avec les talibans, que les États-Unis ont activement soutenu dans les années 1970. [NDLR: Les talibans, à cette époque, ont repoussé avec succès l’invasion soviétique en Afghanistan] Les États-Unis ont pris le pari d’appuyer les terroristes pour qu’ils servent leurs intérêts. Quand ces terroristes ont outrepassé le rôle que Washington leur assignait, les États-Unis sont allés leur taper sur la tête, comme c’est le cas présentement.
Quelle serait la bonne stratégie à adopter pour parvenir à éradiquer la nébuleuse intégriste?
Il faut tarir les sources de financement des groupes qui la composent, en reprenant le contrôle des champs de pétrole de la région, par exemple. Il faut également s’attaquer à leur idéologie, qui est par ailleurs très semblable à celle propagée par l’Arabie saoudite. État islamique n’a pas inventé la décapitation: «nos alliés» de Riyad s’en servent depuis déjà longtemps! Qu’on ne vienne pas accuser les groupes terroristes d’être barbares quand les «alliés» avec lesquels on s’acoquine pour y faire face le sont tout autant.
Qu’est-ce qui a engendré un groupe sanguinaire comme État islamique?
Il est incontestable que les populations, dans cette région, vivent des réalités quotidiennes extrêmement difficiles. L’émergence des groupes violents est souvent un signe de révolte: ce qu’il faut alors se demander, c’est pourquoi elle prend la dimension qu’elle prend présentement. Il est certain, cependant, que la répression des régimes totalitaires de la région entraîne la radicalisation des sociétés sur place.
Comment expliquer la présence d’autant de combattants étrangers au sein de différents groupes intégristes?
Les gens qui rejoignent le djihad depuis une terre occidentale sont en perte de repères, et sont plus facilement touchés par les messages qui prônent la radicalisation. Ils se sentent probablement étrangers en Occident, et espèrent retrouver du sens en allant combattre aux côtés de groupes intégristes.
Qui vise les vidéos d’exécution diffusées par État islamique, à votre avis?
Les vidéos de décapitation ne sont pas publiées pour terroriser l’Occident, selon moi, parce que la mort d’une dizaine de ressortissants, – même si chacune d’entre elles est atroce et absolument abjecte – n’est, concrètement, pas grand chose pour l’Europe et l’Amérique. Je crois que les vidéos cherchent davantage à recruter de nouveaux djihadistes. Elles envoient le message qu’État islamique est un groupe fort, sérieux, et qui n’a pas peur de l’Occident. Les exactions publiques servent aussi un autre but: celui d’effrayer les populations locales, pour mieux les contrôler.
M. Obama part en guerre contre un «réseau de la mort»; son prédécesseur, George W. Bush, est parti en guerre contre un «axe du mal»: y a-t-il des parallèles à établir entre les deux?
Il est vrai que certains analystes se demandent si Barack Obama n’est pas en train de mettre en œuvre la politique des Républicains en retournant au Moyen-Orient. Ce qui se ressemble, dans les deux cas, c’est qu’on semble exploiter le sentiment de révulsion suscité – à juste titre – par des actes cruels pour faire avancer un agenda politique visant le contrôle d’une région.
Plusieurs observateurs rapportent pourtant que Barack Obama était très récalcitrant à retourner au Moyen-Orient…
C’est vrai, mais l’établissement d’un califat islamique menace les alliés des Américains dans la région. En gouvernant une entité politique et en disposant d’importants moyens financiers grâce au pétrole, État islamique menaçait d’attaquer l’Arabie saoudite, qui les avait pourtant appuyée à l’origine. État islamique a depuis cessé d’être un instrument, c’est devenu un espèce de monstre, hors de contrôle.