Des risques au droit de préemption de la Ville, prévient un agent immobilier
La Ville de Montréal s’est dotée ce mois-ci d’un droit de préemption dans plusieurs zones «prioritaires» de la métropole lui permettant d’égaler une offre d’achat acceptée d’un site qu’elle souhaite acquérir. Il s’agit d’une stratégie «intéressante» qui comporte toutefois des dangers, prévient un agent immobilier.
Pour le directeur du développement des affaires au Réseau des courtiers immobiliers indépendants du Québec (RIIQ), Simon-Pierre Poirier, le délai de deux mois imposé par la Ville pour faire valoir son droit de péremption pourrait causer des maux de tête aux acheteurs.
«Pour un acheteur potentiel, un délai de 60 jours s’avère très long. L’acheteur potentiel sera lié à sa promesse d’achat, aussi longtemps que la Ville n’aura pas pris sa décision et ne pourra, entre temps, faire d’autres projets, avec au bout du compte, le risque que sa promesse d’achat devienne nulle et non avenue», a-t-il expliqué en entrevue avec Métro.
Les quartiers montréalais qui sont visés par le droit de préemption de la Ville sont multiples. Ils comprennent les secteurs de Lachine-Est, de Namur–De la Savane, de Rosemont, d’Assomption–Longue-Pointe, le Havre, Anjou–Langelier, mais aussi les Faubourgs Bellechasse, le Plateau-Est, la portion nord de L’Île-des-Sœurs et le Quartier latin.
«Cette mesure n’est pas une mauvaise chose en tant que telle, car la Ville pourra instaurer des infrastructures pour servir la population», a-t-il ajouté. Ce droit de préemption pourrait toutefois avoir un impact négatif sur les ventes dans la métropole, en plus de rendre le marché moins avantageux pour les vendeurs, selon lui.
«Il faut comprendre que les acheteurs qui verront un immeuble enregistré au registre foncier craindront peut-être de présenter des promesses d’achat puisqu’ils sauront que dans ce cas, le vendeur sera dans l’obligation d’envoyer l’avis à la Ville.» -Simon Pierre-Poirier, directeur du développement des affaires du RIIQ.
«La Ville a-t-elle prévu des mesures compensatoires pour l’acheteur qui pourrait se voir délester d’un bien qu’il croyait, en toute bonne foi, bien acquis, s’est interrogé l’agent immobilier. Le concept est bien pensé […] mais certaines conditions seraient à revoir.»
Le professeur à la faculté d’aménagement et expert en immobilier urbain de l’Université de Montréal (UdeM), Clément Demers, apporte des nuances sur le droit de préemption.
«Soixante jours, c’est un peu long pour le vendeur, mais pour une ville, c’est extrêmement court, a-t-il rappelé. Il faut qu’elle arrive à démontrer l’intérêt public, à trouver l’argent. C’est complexe. Et ça m’étonnerait que la Ville n’utilise ce pouvoir sur une grande quantité d’immeubles.»
Le point de vue de la Ville
Accordé par le gouvernement du Québec dans la Loi sur la métropole, le droit de préemption est unique à Montréal. La Ville estime que ce pouvoir lui permettra notamment de réduire le recours à l’expropriation.
«[Cela] permet de mettre en valeur des secteurs grâce au développement urbain structuré ainsi que de protéger les intérêts des Montréalais», a expliqué à Métro une porte-parole de la Ville, Audrey Gauthier.
«C’est du cas par cas. On ne peut pas vous dire jusqu’où on va accoter, mais l’idée, c’est d’ajouter des outils légaux pour être proactif dans le développement du territoire.» – Valérie Plante, mairesse de Montréal.
La mairesse dit n’anticiper aucune baisse des ventes de terrains. «On attend le PPU [Programme particulier d’urbanisme]. C’est une démarche qui nous permet de recueillir les besoins économiques, communautaires et d’habitation. On se servira de ces outils-là en premier», a-t-elle ajouté.
La Ville a indiqué que les sites visés par le droit de préemption sont inscrits dans le registre foncier, qui peut être consultés par les propriétaires et les acheteurs potentiels.
«Le processus de vente se fait en connaissance de cause, tout comme les transactions entourant les négociations», a spécifié Audrey Gauthier. Montréal juge que le délai de 60 jours servira à effectuer les vérifications nécessaires. «Le délai de 60 jours étant une durée maximale, les démarches pourraient être terminées avant ce délai», a avancé Mme Gauthier.
«Le droit de préemption ne brime pas le propriétaire de jouir pleinement de son immeuble, a-t-elle renchéri. Il ne le force pas à vendre sa propriété, ni ne l’empêche de la développer et d’obtenir les permis requis à cette fin. Cela n’a aucune influence sur sa capacité à y apporter des modifications.»
Des comparables
Un droit de préemption similaire existe déjà au ministère de la Culture et des Communications, d’après le professeur de l’UdeM, Clément Demers.
«Ça touche les bâtiments classés, a-t-il indiqué. Moi, je suis propriétaire d’un bâtiment classé datant des années 1970. Et si je veux le vendre, je dois l’offrir au gouvernement, qui a 60 jours ou accepter ou non de l’acheter.»
«Il y a des limites, les pouvoirs publics n’ont pas tant d’argent que ça. Pour exercer son droit de préemption, il faut que le cas soit exceptionnel, que le bâtiment soit en danger et qu’il ait une valeur exceptionnellement historique.» -Clément Demers, professeur en aménagement de l’UdeM.
«La Ville ne va pas acheter à gauche à droite, donc ça ne m’inquiète pas énormément», a-t-il tempéré.
Par le passé, la Ville utilisait les réserves foncières, un système qui était beaucoup plus néfaste, a dit le professeur. «Ils se réservaient en gros le droit d’exproprier un immeuble et d’acheter en gré à gré. Ça affectait l’immeuble pendant deux ans. Et pendant cette période, si le propriétaire faisait des améliorations, elles n’étaient pas reconnues. C’était très pénalisant.»