Télémédecine: le privé nuit au public, estime l’IRIS
La télémédecine privée est venue se tailler une place importante dans les soins de santé de la population québécoise depuis mars 2020, devenant une ressource médicale nécessaire pour un grand nombre de personnes et favorisant l’enrichissement de plusieurs entreprises. C’est ce que met en lumière l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) dans une étude rendue publique jeudi.
«D’emblée, il faut souligner que la télémédecine n’est pas un problème en soi puisqu’elle favorise l’accès aux soins, estime une chercheuse de l’IRIS, Anne Plourde. Le problème réside plutôt dans le fait que la pandémie a permis l’essor d’industries privées à but lucratif dans le secteur de la médecine virtuelle au détriment du public.»
Une firme de télémédecine, Dialogue, a vu son chiffre d’affaires augmenter de 500% depuis deux ans tout en recevant un investissement de 14 M$ de la part de la Caisse de dépôt et placement du Québec et un prêt de 2 M$ de la part d’Investissement Québec. «Cet argent aurait dû servir à améliorer la structure de santé publique», tranche l’IRIS.
Le privé aux dépens du public
Un des enjeux majeurs révélés par la recherche est la détérioration de la qualité des services de santé au Québec en raison de l’exode des professionnels de la santé vers ces entreprises privées qui offrent de meilleures conditions.
La croissance des revenus engendre une croissance du recrutement et des embauches dans ces entreprises et ceci fait en sorte qu’il y a un exode des professionnels de la santé et des infirmières du secteur public vers le secteur privé. Nous savons tous qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre particulièrement intense dans le système de santé en plus d’une baisse de la qualité des conditions de travail. De fait, cet exode entraîne une diminution de la qualité des services dans le système de santé publique.
Anne Plourde, chercheuse pour l’IRIS
La chercheuse ajoute que les études démontrent que l’augmentation d’offres dans le secteur privé ne diminue pas le temps d’attente et ne désengorge pas les urgences dans le milieu public, mais bien l’inverse, ce qui nuit notamment à la population québécoise n’ayant pas accès à des assurances collectives privées.
«Rappelons que 40% de la population du Québec n’a pas accès à des assurances collectives privées et doit donc payer chaque consultation virtuelle. Ceci pose problème puisque la télémédecine n’offre pas vraiment de suivis médicaux pour les patients, notamment pour les cas plus sérieux de maladies chroniques. De plus, il y a un dédoublement de frais important puisque les patients virtuels doivent habituellement se rendre aux urgences ou en clinique pour traiter leurs problèmes médicaux, urgences dépourvues de ressources en faveur de la télémédecine privée.»
Recommandations de l’IRIS
Bien que la télémédecine soit désormais couverte par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), ce qui n’était pas le cas avant la pandémie, la recherche de Mme Plourde propose quelques mesures pour mieux encadrer le secteur de télémédecine privée et publique.
«Avant d’être couvert par la RAMQ, le médecin du secteur public pouvait facturer des services de télémédecine dans le secteur privé. Même si ce n’est plus possible aujourd’hui en théorie, la pratique montre qu’il y a encore des ambiguïtés quant à l’exercice des fonctions médicales. À ce titre, une de nos recommandations est de clarifier la pratique médicale pour s’assurer qu’il n’y ait plus d’exceptions dans le double pratique public-privé par les médecins et ainsi, freiner l’exode vers le privé. Aussi, pour limiter le cercle vicieux actuel, un réinvestissement massif dans les services publics de santé est aussi recommandé puisque la détérioration de la qualité du réseau public rend le privé plus attrayant pour les professionnels de la santé.»
En plus de limiter l’investissement public dans ces entreprises, la chercheuse suggère d’exclure explicitement la télémédecine privée des régimes d’assurance et d’avantages sociaux offerts par les employeurs à leurs employés.