Du romarin entre les palettes
Ces dernières semaines, j’ai eu envie de me véhiculer propre. Bien que je n’urine pas sur la voie publique et que j’évite de chiquer du tabac en BIXI, je prends, hélas, beaucoup de taxis. Plus que je le souhaiterais. Et jusqu’ici, je téléphonais loyalement à la même compagnie qui m’était fort sympathique.
J’ai, je dois le souligner, toujours été chanceuse (BÉNIE) dans mes déplacements en taxi. Ces histoires de copines qui se font importuner par des chauffards à la main baladeuse et au sexe turgescent, de voitures suintant le gravy, fourmillantes de vermisseaux qui dansent la conga ou dotées de trous au plancher pour freiner d’un franc coup de botte de cowboy ne me sont jamais arrivées. J’ai tout de même été appâtée par l’offre de Téo Taxi. La petite voiture blanche et verte.
L’entreprise d’ici. Le transport écoresponsable où tout se gère via une application mobile, sans souci ni terminal interac qui expectore son mal de vivre. Le concept entier était fête foraine à mes oreilles, moi qui me suis toujours refusée à verser un seul écu à Uber, dont j’estime la pratique grossière et furieusement déloyale.
J’ai donc chevauché l’ânesse du futur et fait le grand saut en m’ouvrant un compte Téo. Transaction simple, prénom et photo (allô!) du chauffeur en route, voiturette miniature qui se dandine sur une carte animée, le pied! Ce que je n’avais cependant pas prévu, c’est la cérémonie. Chaque fois, le chauffeur, d’une prestance à faire pâlir un vicomte, s’est, comme le prescrit sans doute «l’étiquette Téo», propulsé hors du véhicule pour m’ouvrir la portière, à l’entrée comme à la sortie, bien que je l’aie chaleureusement prié de ne pas se donner ce mal. Pareilles courbettes portent d’abord rouge aux joues. Mais rapidement, et je ne parle que pour ma glotte, le malaise s’installe.
D’une politesse et d’une diction inouïes, le chauffeur en uniforme fraîchement pressé de chez Holt Renfrew se met en route. Puis, le silence. Le silence de l’exhaust, certes; mais surtout le silence des classes. Lui, chauffeur; moi, son précieux vase Ming. Une passagère, UNE REINE à qui il ne faut pas déplaire, dont on ne doit surtout pas croiser le regard et surtout, devant qui on doit s’abstenir d’émettre le moindre son, la moindre musique ou le moindre borborygme. Je saisis l’expérience-client qu’on tente d’instaurer chez Téo. Je la saisis. Mais cette sensation d’appartenir à une caste supérieure qu’on doit véhiculer avec prestige m’a plongée dans une profonde gêne.
J’aime l’humanité des chauffeurs de taxi montréalais. Leurs rythmes antillais. Le petit sandwich pas de croûte qui traîne sur le siège passager. Leur jasette. Leur couleur et, pourquoi pas, leur va-vite occasionnel. Et cette humanité, bien que terrée quelque part sous le chemisier empesé, je ne l’ai pas lue dans le regard de mes chauffeurs de Tesla qui, sans hésiter, m’auraient cuisiné des petits fours entre deux stops si je leur en avais fait la demande.
L’innovation et les conditions de travail décentes : oui. Mais si le chauffeur du futur doit mastiquer une branche de romarin selon les exigences aromatiques de son hypothétique clientèle, je suis moins sûre.
La bise.