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«Tu comprends»

Photo: Facebook/TommyRoberge

Mes hommages. Vous avez peut-être eu le grand privilège de visionner la vidéo de ce brave gaillard (un gaillard du même degré de luminosité que cet objet non identifié qui fendit jadis le ciel derrière Colette Provencher) et son habile lancer de boisson gazeuse sur un sans-abri. Un chef-d’œuvre du lancer de précision. La trajectoire impeccable d’un liquide pétillant – appelons-le la petite rootbeer du succès – de la main d’un justicier vers un homme qui mendiait, coin Saint-Laurent/Sainte-Catherine. Vers une menace intersidérale qui, de son odieuse présence sur le trottoir du centre-ville, minait la journée d’un jeune homme au sommet de sa poésie: «OK gang; là on “starte” un vidéo, tu comprends, c’est ça qui arrive, check ça, tu comprends (lance sa petite liqueur). Oooooh! Tu comprends, va travailler, mother fucker, va te trouver une job, man!»

Bien sûr que vous l’avez vue. Rideau sur le clochard confus qui, le t-shirt détrempé, ne perd pas même une milliseconde à rétorquer à son agresseur et à son caméraman du dimanche – ni au gentilhomme planté derrière lui, tenant en ses petites mains de Spielberg un deuxième téléphone intelligent pour faire sûr d’avoir assez de plans de coupe pour monter «le prochain Léolo». Noble ti-caille, personne ne parle de toi, mais moi, JE T’AI VU – le mendiant se penche plutôt aussitôt pour ramasser la poignée de monnaie tombée de ses mains dans la surprise.

Le petit change avant la dignité.

Au-delà du grotesque du jeune Depardieu au t-shirt Nike, ce qui chavire, au-delà de tout, c’est l’absence de réaction du pauvre homme. Le petit combat qu’il ne mènera pas, parce que le mépris, il connaît. Il en étend, chaque matin, sur les petites toasts qu’il ne se fait pas. Un peu comme cet autre itinérant, croisé au métro Laurier un peu plus tôt cette semaine, qui s’est montré si reconnaissant devant l’extraordinaire générosité d’un passant qui venait de lui offrir une cigarette. Une cigarette! Le Klondike. Et cette cigarette ne venait pas qu’avec un échange de regards complices. Elle venait surtout avec un : «J’ai pas d’argent, mais prends ça. Ça coupe la faim, mon chum!» Ça coupe la faim. Une rencontre de quelques secondes, quelques mots qui auraient pu mettre un baume sur un cœur et un visage ravagés par cette chienne de vie, mais qui se solde plutôt dans une MER de condescendance et de compassion aux dents lilas.

Cet homme que tu croises, tu ne le connais pas. Sa mère ne t’a jamais fait de biscuits et tu n’as pas de souvenirs de tournois de billes remportés à la petite école, bras dessus, bras dessous, à évoquer en le relançant sur ce café que vous remettez toujours à plus tard. Tu ignores tout de lui. De sa lutte. De la plaque des dix-roues qui lui passent, chaque jour, sur le corps. Mais du haut de ton élégant cheval, tu te permets spacieuse risette. Tu as ce droit sur lui. Cette hauteur.

Parce que «tu comprends».

La bise.

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