Soutenez

Laurier Palace: l’incendie qui a ébranlé le Québec

Photo: Musée des pompiers auxiliaires de Montréal

Il y a 90 ans survenait l’une des pires tragédies civiles de l’histoire du Québec. Le 9 janvier 1927, 78 enfants trouvaient la mort dans un incendie au cinéma Laurier Palace, situé sur la rue Sainte-Catherine dans Hochelaga. Ce drame marquera les esprits, les mesures de sécurité et même le cinéma québécois.

L’incendie
Le dernier jour du congé des Fêtes, des centaines de personnes vont au cinéma un dimanche après-midi. Parmi eux: 250 enfants, dont plusieurs ne sont pas accompagnés d’un adulte, même si le règlement municipal l’interdit à l’époque. Un incendie, causé vraisemblablement par une cigarette, éclate dans les conduites d’aération. «Lorsque l’incendie atteint le balcon, c’est la panique, relate la professeure du Département d’histoire de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Magda Fahrni. Les enfants ont été pris dans la cage d’escalier et il paraît que le gérant du cinéma leur a dit de remonter. Les enfants ne savaient pas s’ils devaient écouter le gérant ou essayer de sortir. S’ils avaient été accompagnés par des adultes, il y aurait probablement eu des décisions plus avisées qui auraient été prises.»

Pas moins de 77 enfants meurent asphyxiés dans le cinéma, et un autre décède dans les jours suivants. Si le drame a autant marqué les gens, c’est parce qu’il s’agissait d’enfants innocents. «On a l’impression qu’à une époque où le taux de mortalité infantile est élevé, la mort d’un enfant est considérée comme moins grave, mais ce n’est pas du tout le cas, ajoute l’historienne. Ç’a été un deuil collectif.»

laurier_palace2
Photo: Musée des pompiers auxiliaires de Montréal

Enjeux de sécurité
Bien que ce cinéma avait déjà été inspecté peu de temps auparavant, cette tragédie a soulevé de nombreux enjeux de sécurité. «On a réclamé des inspections et le respect des règlements sur les portes de sortie. Je pense qu’il y a eu une conscientisation par rapport aux risques potentiels dans des lieux de rassemblement», soutient Mme Fahrni.

«Les ouvriers savaient que leurs lieux de travail – les chemins de fer, le port, les chantiers – pouvaient être dangereux, mais qu’un cinéma du quartier soit dangereux a heurté la sensibilité des gens de l’époque.» Magda Fahrni, historienne

Une commission d’enquête suivra. Le juge conclura que les parents n’avaient pas de responsabilité juridique, bien qu’ayant laissé leurs enfants aller seuls au cinéma, car c’était une pratique courante à l’époque. «Ça témoigne de la liberté dont disposaient les enfants d’ouvriers dans leur quartier, explique-t-elle. On est loin des enfants d’aujourd’hui, très surveillés.»

Le clergé et l’interdit
Aux funérailles des enfants, l’archevêque de Montréal, Mgr Georges Gauthier, dit que ces décès sont la punition réservée aux parents qui ont envoyé leurs enfants au cinéma un dimanche. «Le cinéma était très populaire et c’était la garderie de l’époque, comme la télévision l’a été, rappelle le professeur du Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal Germain Lacasse. Mais le clergé détestait le cinéma, parce que beaucoup de gens y allaient le dimanche, qui était leur seul jour de congé.» Selon lui, le clergé s’est servi de cet événement pour aider à faire mal paraître ce loisir.

Après la commission d’enquête, le gouvernement interdit aux enfants de moins de 16 ans l’entrée des cinémas et cela durera pendant près de 40 ans. «Garder le cinéma ouvert le dimanche, mais l’interdire aux enfants était un compromis habile, juge Mme Fahrni. Les enfants ne votaient pas et le geste était suffisamment fort pour satisfaire les gens qui craignaient que le cinéma soit une source de morale douteuse.»

laurier_palace5
Le Laurier Palace le lendemain – Photo: Musée des pompiers auxiliaires de Montréal

Moins de cinéma québécois
La tragédie et l’opposition du clergé auront un impact notable sur le cinéma québécois, explique M. Lacasse. «Ça a beaucoup diminué le premier effort de production de cinéma québécois, dans les années 1920, raconte-t-il. L’incendie a donné tellement de munitions aux conservateurs, qu’ils ont beaucoup démonisé le cinéma. Les gens qui en faisaient étaient un peu mal vus par l’élite de la société.» Plusieurs salles ont aussi fermé leurs portes dans les années qui ont suivi, pour des raisons de sécurité ou à cause d’une baisse de la fréquentation.

Malgré des répercussions négatives, l’interdiction faite aux jeunes de fréquenter le cinéma aura aussi pour effet de créer un réseau de salles parallèles, souligne le spécialiste du cinéma québécois. «Dans les paroisses, dans les écoles, on projette du cinéma en format 16 mm, dit-il. Ce réseau a aidé, dans les années 1950, à l’émergence des premiers ciné-clubs dans le réseau scolaire.»

capture-decran-2017-01-08-a-4-50-10-pm
Publicité publiée dans le journal La Patrie, le 29 janvier 1927. Photo: Bibliothèque et archives nationale du Québec

Des chansons pour se souvenir
L’incendie du Laurier Palace a vraiment marqué les esprits. Pour preuve, au moins trois chansons sont écrites sur la tragédie : La complainte du Laurier Palace, Pleurons ces pauvres petits et Il fallait des anges au paradis de Roméo Beaudry. «Elle a été composée probablement dans la nuit du 9, puisqu’elle a été enregistrée le lendemain», indique la musicologue spécialisée en musique populaire québécoise et chargée de cours à l’UQAM et à McGill Sandria P. Bouliane. On l’annonce dans le journal La Patrie comme «la chanson que vous attendiez». Il s’agit d’une chanson d’actualité, une pratique courante à l’époque, explique Mme Bouliane. «C’est souvent pour se moquer, mais beaucoup d’accidents one été couverts en chanson, comme l’effondrement du pont de Québec», précise-t-elle.

Roméo Beaudry, qui a également été producteur de La Bolduc, n’avait pas l’habitude de composer des chansons aux paroles religieuses. «Le sujet fait en sorte qu’il y aura ce côté plus religieux, soutient la musicologue. Plutôt que de chercher des coupables, on dit que les enfants ont été choisis comme anges pour consoler.»

capture-decran-2017-01-08-a-4-46-54-pm

Une partition publiée dans la revue Le Passe-Temps en 1927. Photo: Bibliothèque et archives nationale du Québec

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.