La Charte du piéton, 10 ans après son adoption
«L’automobile a encore sa place à Montréal, mais elle n’a plus toute la place», disait l’ancien maire de Montréal Gérald Tremblay. Sous sa gouverne, la Ville de Montréal s’est dotée en 2006 d’une Charte du piéton, qui soulignait l’importance des déplacements piétonniers. Plus de dix ans plus tard, où en est la métropole?
Sur la rue Sainte-Catherine Ouest, sur l’heure du midi, les piétons se déplacent sur des trottoirs bondés. Ils seraient environ 3000 à se promener à chaque heure entre les rues University et de Bleury, d’après une compilation réalisée en 2014 par l’entreprise CBRE.
Avec le réaménagement de la rue Sainte-Catherine Ouest, que la Ville prépare, les trottoirs pourront être élargis à 6,5 mètres, selon le scénario «flexible» qui a été retenu. Lors de l’annonce, en 2015, le maire de Montréal, Denis Coderre, disait vouloir «une rue vivante». Il évoquait alors la possibilité d’installer un marché de Noël, d’y organiser des événements ponctuels et même de rendre l’artère du centre-ville complètement piétonne de façon temporaire.
Pour le porte-parole de Piétons Québec, Félix Gravel, la nouvelle configuration de la rue Sainte-Catherine ne respecte pas l’esprit de la Charte du piéton. «On garde deux rangées de stationnement et deux voies de circulation, a-t-il souligné. On ne fait pas plus de place aux piétons, alors que les trottoirs débordent.»
La Charte du piéton, consacrée dans le Plan de transport de 2008, annonçait «la primauté du piéton dans l’espace urbain». «La marche doit devenir un mode de transport choisi plutôt qu’un mode subi», est-il écrit dans la charte.
Voulant s’attaquer au problème de la sédentarité, l’administration du maire Tremblay comptait offrir aux piétons «des conditions de déplacements optimales» et considérer ce mode de transport actif dans l’aménagement de l’espace public.
«La Charte propose un nouveau partage de la rue plus favorable à la marche, pour la rendre plus sécuritaire et conviviale, ce qui implique, d’une part, une redéfinition de la place des modes de transport motorisés et, d’autre part, que le piéton respecte la réglementation en vigueur et adopte des comportements sécuritaires.» – André Lavallée, le responsable des transports de l’époque, dans la Charte du piéton.
La Charte du piéton fait partie des premiers documents, avec le Plan de transport de 2008, que le conseiller municipal de Saint-Laurent, Aref Salem, a consultés après sa nomination à titre de responsable des transports en 2013. S’il juge ambitieuse cette charte, qui annonçait clairement les orientations de la Ville, il déplore qu’aucun financement n’ait été accordé pour des réalisations concrètes.
«On ne mesurait pas les actions en fonction du dollar, a-t-il affirmé. On le voit aussi pour le Plan de transport: on n’a pas réussi à réaliser 100% du plan parce que le financement n’était pas attaché.»
Malgré tout, la Charte du piéton a une incidence positive sur la métropole, d’après M. Salem. En plus de la hausse des investissements dans les transports actifs, ce dernier a noté plusieurs projets qui ont rendu les déplacements piétonniers plus conviviaux et plus sécuritaires, tels que le projet pilote d’arrêts aux quatre coins d’une intersection, la mise en place de radars photo dans le centre-ville et le programme des rues piétonnes et partagées. «Je n’ai pas vu un de ces projets avec un taux de satisfaction sous 90-92%», a rapporté le responsable des transports à la Ville de Montréal, qui n’hésite pas à parler du bilan positif de la Charte du piéton.
Félix Gravel a ajouté, de son côté, l’arrivée des placottoirs, la piétonisation estivale de rues commerciales, le déneigement des trottoirs devenu prioritaire pendant l’hiver, la nécessité de justifier le réaménagement d’une rue à l’identique et même l’instauration prochaine des trottoirs chauffants sur la rue Sainte-Catherine Ouest.
«Sur certains aspects, on a vraiment fait du travail, a dit M. Gravel. Il y a quand même un savoir-faire montréalais de reconversion de l’espace public en espace plus agréable avec de la végétation et du mobilier urbain. Cette logique dans les quartiers se confronte à l’autre logique sur le réseau artériel où on voit que la rue Saint-Denis a été refaite à l’identique. La rue Jarry aussi. C’est là qu’on se dit qu’il y a encore du chemin à faire.»
La conseillère municipale de De Lorimier et élue de Projet Montréal, Marianne Giguère, est du même avis. «Dans bien des occasions, l’esprit de cette charte n’est pas du tout respecté», a-t-elle déploré, en évoquant entre autres l’absence de corridor piéton à l’abord de nombreux chantiers, la construction du mini-trottoir sur la rue de Brébeuf et la disparition de la dalle-jardin dans le projet de l’échangeur Turcot. Elle a souligné que la Charte du piéton n’est pas comprise de la même façon d’un arrondissement à l’autre, en montrant du doigt le boulevard Saint-Michel qui a été refait à l’identique entre les rues Shaugnessy et Jarry. «La mairesse Anie Samson était pourtant là quand la charte a été votée», a lancé Mme Giguère.
«On ne peut pas faire du mur-à-mur», a répliqué Aref Salem, membre du comité exécutif, lorsque les exemples des rues Jarry, Saint-Denis et Saint-Michel lui ont été présentés. Il a aussi précisé que les trottoirs de la rue Jarry ont été élargis et qu’une piste cyclable longera l’artère montréalaise. «On fait ce qui répond aux besoins des gens qui habitent dans le secteur. C’est un processus inclusif qui doit se faire avec les gens», a-t-il insisté, avant d’énumérer les consultations publiques où il a constaté une participation citoyenne importante.
Plus de dix ans après son adoption, la Charte du piéton demeure pertinente, a assuré M. Salem, bien que la Vision zéro ait pris le relais pour ce qui de la sécurité des déplacements. «[La Charte] doit être une partie prenante du Plan de transport si on veut que [celui-ci] réponde aux besoins d’une ville comme Montréal», a-t-il dit.
L’administration du maire Coderre, si elle est reportée au pouvoir à la suite des prochaines élections municipales, entend mettre à jour le Plan de transport et, du même coup, la Charte du piéton, a indiqué Aref Salem.
Marianne Giguère croit pour sa part que la Charte du piéton n’a pas besoin d’être révisée. «L’essentiel est là, a-t-elle mentionné. Avec les principes de la Vision Zéro, on est en business. Maintenant, ce qui manque, c’est la volonté politique pour la réaliser.»
Et les comportements ?
Lorsqu’un piéton traverse un boulevard à une intersection, il presse le pas si le décompte numérique approche de sa fin. Pour la conseillère municipale du Plateau–Mont-Royal, Marianne Giguère, cette situation courante illustre la préséance de l’automobile sur les piétons.
- «C’est un réflexe qu’on a tous, a-t-elle observé. On vit depuis tellement d’années dans un univers de char où les rues sont larges et où les stationnements sont immenses.»
- Le responsable des transports, Aref Salem, convient que du travail reste à faire pour changer les comportements afin d’assurer une meilleure cohabitation sur la route. «Il faut de la patience devant les plus vulnérables», a-t-il souligné.
- Mme Giguère croit que, tranquillement, les mentalités sont en train de changer, mais la Ville doit faire sa part pour «rééquilibrer les aménagements [et] le sentiment de priorité». Elle a rapporté qu’un des fondements de la Vision Zéro, adoptée par la Ville, est la faillibilité de l’être humain. «Il faut que cette faillibilité de l’humain soit palliée par des aménagements qui feront en sorte que l’erreur aura de moins grandes conséquences», a-t-il expliqué, en évoquant la diminution des limites de vitesse, qui fait en sorte qu’un accident n’est pas mortel mais «qu’il fait très mal».
- L’administration de Denis Coderre a annoncé au début du mois que les limites de vitesse diminueront à 30km/h dans les rues résidentielles et les rues commerciales en 2018. Mis à part quelques exceptions, les automobilistes ne pourront rouler à plus de 40km/h sur les artères.