Zoom sur le futur marché du cannabis au Québec
Même si la date de la légalisation du cannabis récréatif reste incertaine, cela n’empêche pas les gens d’affaires de réfléchir aux impacts et aux opportunités liées à ce nouveau marché. Des experts de plusieurs horizons ont été réunis mardi, à Montréal, par le journal Les Affaires, pour discuter de la petite révolution à venir.
Consommation. Selon la dernière étude de Santé Canada, 27% des Québécois âgés de plus de 15 ans ont indiqué avoir fumé du cannabis dans la dernière année. C’est bien plus qu’en 2014, où le taux se situait à 15%. «Il est possible notamment que les gens soient plus à l’aise d’en parler», a expliqué Caroline Lavoie, consultante en affaires publiques chez Octane. Par contre, le Québec est en dernière position parmi les provinces canadiennes qui participent au programme fédéral d’accès au cannabis thérapeutique. Seulement 7318 patients québécois y sont inscrits, soit 0,1% de la population, a souligné Mme Lavoie. Statistique Canada a aussi calculé qu’un fumeur moyen dépense 1200$ par année pour acheter de la marijuana.
Production. Le Québec ne compte que six des 97 producteurs de marijuana actuellement autorisés au Canada, ce qui classe encore la province en queue de peloton. Par contre, la Société québécoise du cannabis (SQDC), qui ouvrira une vingtaine de boutiques quand le cannabis sera légalisé, a déjà signé des contrats pour sécuriser l’approvisionnement de 62 tonnes de cannabis par an. «À raison d’un demi-gramme de marijuana par joint, cela représente 124 millions de gros joints», a plaisanté Mme Lavoie. Cela pourrait toutefois s’avérer insuffisant. En effet, Santé Canada a évalué le marché de la consommation de marijuana à 773 tonnes de cannabis au Canada en 2017 et le Québec représente 20% de la population, ce qui signifie que les besoins pourraient être de l’ordre de 160 tonnes, sauf si les Québécois utilisent internet pour leurs achats plutôt que les boutiques d’État ou que le marché noir reste une source importante d’approvisionnement.
Études. En sondant des milliers de Canadiens, Statistique Canada a conclu que le marché du cannabis était chiffré à 5,7G$ en 2017 au pays. Cela situe la substance loin derrière le tabac (15G$ en 2017), mais pas très loin de celui du vin (6,5G$). L’agence fédérale a aussi calculé que les 20% de gros fumeurs consommeraient 80% de ce qui se vend au Canada, d’où l’importance de s’assurer que ces derniers soient satisfaits par l’offre en magasin, si l’on veut qu’ils cessent de s’approvisionner sur le marché noir. Pour évaluer la part du marché noir qui subsistera après la légalisation, Anthony Peluso, le directeur adjoint de la division du commerce de Statistique Canada, a expliqué les tests qui seront effectués dans six grandes villes, dont Montréal. Il s’agira de mesurer la concentration de tétrahydrocannabinol (THC) dans les eaux usées pour déterminer la consommation moyenne par ville. En les comparant, entre autres, avec les statistiques de ventes des boutiques d’État, Statistique Canada espère pouvoir en déduire la part du cannabis de contrebande consommé dans chacune des villes.
Distribution. Pour l’instant, quatre boutiques ouvriront leurs portes à Montréal, dont une proche de la station de métro Berri-UQAM. Robert Beaudry, l’élu responsable du développement économique à la Ville de Montréal, ne connaît pas encore l’emplacement exact des boutiques. Ce dernier salue toutefois «l’ouverture de la SQDC qui est très ouverte à [aux] observations [de la Ville]». Il a indiqué en outre déjà réfléchir à l’augmentation du nombre de boutiques pour éviter la stigmatisation des secteurs concernés. La première année, les boutiques offriront essentiellement des produits séchés et de l’huile de cannabis. Par contre, il faudra attendre l’année suivante pour pouvoir y acheter des produits comestibles. Selon une étude récente de l’Université Dalhousie, 26,6% des personnes interrogées ont indiqué qu’elles pourraient, au restaurant, remplacer l’achat d’un breuvage alcoolisé par un plat contenant du cannabis. «Ça inquiète les vignerons que j’ai rencontrés, mais le marché du cannabis comestible offre de belles opportunités à l’industrie agro-alimentaire», a souligné Sylvain Charlebois, le doyen de la faculté de management de l’Université Dalhousie. Ce dernier a d’ailleurs confié que certaines entreprises industrielles travaillent déjà à la productions de produits comestibles où les effets se feraient sentir après 20 minutes, soit trois plus rapidement, éliminant ainsi certaines craintes en termes de santé et de sécurité publiques.
Règlementation. Ottawa a fixé les balises entourant la légalisation du cannabis, mais chaque province dispose d’une certaine latitude règlementaire. «Le Québec n’est pas le plus strict, ni le plus libéral, comme l’Alberta», a affirmé Caroline Lavoie, qui a analysé les options choisies par chaque province canadienne. Par exemple, seulement deux provinces, dont le Québec, ont fixé l’âge légal pour consommer de la marijuana à 18 ans, tout en interdisant en contrepartie la production à domicile. Québec n’a pas non plus proscrit la consommation en public, comme l’Ontario, mais la province prévoit ouvrir le plus petit nombre de boutiques en fonction de sa population, a souligné Mme Lavoie. Le Québec a aussi choisi d’opter pour un organisme public sans but lucratif pour la distribution, alors que quatre provinces ont opté pour une distribution par le secteur privé. Caroline Lavoie se questionne en outre sur l’article 55 du projet de loi de Québec, qui laisse la porte ouverte à des projets pilotes de vente au détail par le privé. «Ça fait beaucoup jaser», dit-elle.