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Migrants au Québec: «La situation à la frontière a radicalement changé en un an»

Refugees who crossed the Canada/US border illegally near Hemmingford, Quebec are processed in a tent after being arrested by the RCMP on August 5, 2017. The flow of asylum seekers has increased dramatically over the last few weeks with migrants arriving day and night. Canadian Prime Minister Justin Trudeau on August 4 promised that his government would redouble its efforts to handle the influx of migrants illegally entering the country from the United States to seek asylum. / AFP PHOTO / Geoff Robins Photo: AFP

La situation des demandeurs d’asile qui arrivent à la frontière canadienne est sous contrôle, affirme le représentant canadien du Haut-Commissariat pour les réfugiés de l’ONU (HCR), Jean-Nicolas Beuze, de retour, jeudi dernier, d’une visite à Hemmingford, où débouche le fameux chemin Roxham. Métro a rencontré M. Beuze pour connaître les défis qui attendent le système d’asile canadien et le HCR.

Empruntée en juillet par un peu plus de 1 500 personnes, cette petite route est devenue l’épicentre de la problématique des entrées irrégulières de réfugiés qui tentent leur chance au Canada.

Quelle est la situation à la frontière présentement?
Tout indique que la situation à la frontière a radicalement changé depuis l’année dernière. En juillet, on est seulement à la moitié du total de juillet 2017 et pour le début du mois d’août, il y a une très nette baisse par rapport à pareille date l’année dernière. On était à 5 000 arrivées en août 2017, et dans les 15 premiers jours du mois d’août 2018, on est à 800 arrivées. S’il n’y a pas de rush avant le retour aux études des enfants, que des familles ne se déplacent pas juste avant de remettre leurs enfants à l’école, on arrivera à des taux trois fois moindres que l’année passée.

Les installations sur place sont assez impressionnantes. Il y a des tentes, des bureaux; la Croix-Rouge est sur place, les protocoles sont bien en place et du personnel supplémentaire est dépêché sur les lieux.

On a été témoins [jeudi] d’un homme qui a traversé de manière irrégulière et les choses se passent de manière assez efficace. Il y a un peu d’attente à chaque étape entre la Gendarmerie royale du Canada [GRC] et l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC], mais ça prend en moyenne 12 heures et les gens sont transférés à Montréal. C’est vraiment rapide. Il y en a très peu qui passent vraiment la nuit à Lacolle, malgré le fait qu’on ait tout l’équipement là-bas, au cas où.

D’où viennent les demandeurs­ d’asile?
Les profils n’ont pas changé par rapport aux derniers mois, mais ils ont beaucoup changé depuis l’année passée. Les Haïtiens ne représentent plus la majorité; ce n’est même pas 5% du total des demandeurs d’asile. Les Nigérians continuent à être la nationalité numéro 1, mais après, c’est vraiment un mix de Palestiniens, de Pakistanais, de Turcs, de Colombiens. Ce sont tous des pourcentages très faibles. C’est un mélange de familles, de femmes seules avec des enfants et d’hommes seuls.

Pourquoi sont-ils tous envoyés à Montréal?
Il y a de l’hébergement disponible, ils peuvent continuer leurs procédures avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC], la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés [CISR] et l’ASFC.

Quelle est la situation dans les centres de détention de l’immigration?
Là-dessus, les Nations unies sont très claires: la détention d’un enfant, même très courte, même s’il est détenu avec ses parents, a toujours une conséquence sur son développement psychologique, sur son rapport à l’autorité, sur sa vie adulte.

Le ministre québécois de l’Immigration, David Heurtel, l’avait annoncé l’année dernière, mais on travaille à une solution de rechange à la détention qui est basée sur une supervision communautaire, où on se présenterait à un bureau de manière régulière comme en probation. C’est fondé sur l’idée que, sauf quand il y a des suspicions de criminalité ou des craintes qu’un individu présente un risque pour le public canadien, les personnes peuvent attendre, sans être détenues, qu’on vérifie leur identité et qu’on continue le processus. C’est en train d’être mis en place dans tout le Canada.

«Ce ne sont pas des gens qui attendent et qui bouffent les ressources des contribuables, ce sont des gens qui, au bout de 30 jours, ont un permis de travail.» – Jean-Nicolas Beuze, représentant canadien du Haut-Commissariat pour les réfugiés de l’ONU

Comment se passe la collaboration entre les agences gouvernementales impliquées dans le système d’asile?
Il y a eu de très gros efforts, on doit le reconnaître, pour mieux communiquer, mieux se parler, essayer de ne pas répéter trois fois le même processus, mais c’est difficile, parce que chaque agence a ses protocoles, ses mentalités, ses pratiques. Il y a des choses qui ne sont pas nécessaires.

À Montréal, il y a le Centre intégré d’analyse des demandes d’asile [CIADA], un projet pilote qui regroupe l’ASFC, l’IRCC et la CISR et qui essaie de voir comment préparer au mieux un dossier avant qu’il arrive devant la CISR de manière à ne pas répéter les étapes, à partager l’information, à faciliter aussi le travail de la commission en ayant le dossier le plus complet possible.

Ça fait huit semaines que le CIADA est en service, et c’est important parce que ça entre dans toute la discussion à l’échelle nationale pour savoir s’il va y avoir une réforme du système d’asile au Canada.

Le traitement des demandes est très en retard, n’est-ce pas?
Oui. On parle d’un délai de 18 à 24 mois. Il y a de 40 000 à 50 000 demandes en attente. C’est une question intéressante, mais ce n’est pas une situation qui nous choque, au HCR. Le point qui est important, c’est de conserver l’équité du processus. La durée, bien sûr, est difficile à supporter sur le plan émotionnel, mais si on pense à quelqu’un qui vient d’échapper à cinq ans de guerre ou à deux ans de torture dans un cachot à Alep, attendre deux ans avec un permis de travail, un soutien psychologique, une capacité à mettre les enfants à l’école, des soins, ce n’est pas la fin du monde.

En trois à six mois, ils se trouvent un travail, et au bout d’un an, les demandeurs d’asile ont un salaire de 20 000 $ par année. Ces gens contribuent pratiquement immédiatement à l’État canadien en payant des taxes.

Maintenant, on comprend que pour un certain nombre de Canadiens, l’idée de laisser en suspens des gens pendant deux ans sans savoir s’ils vont être acceptés comme réfugiés n’est pas acceptable.

La force du système d’asile canadien réside dans le fait qu’un demandeur d’asile a le droit de raconter son histoire devant un juge. Il ne faut pas essayer de changer le système juste pour gagner du temps, au détriment de la qualité de l’évaluation. Ça c’est unique au monde.

On parle de protocole, de convention, de grands textes signés par des chefs d’État, mais dans une ère où on remet en question les institutions, les pouvoirs politiques établis, quel est le rôle de l’ONU et du HCR pour des populations qui doutent de plus en plus de la pertinence de ces organisations?
C’est justement de dire qu’on n’est pas là pour régler tous les problèmes du monde. Il y a des problèmes qui sont politiques. Résoudre les conflits, ce n’est pas le rôle des organisations humanitaires, c’est le rôle des politiciens, du multilatéralisme, des institutions régionales, etc.

L’humanitaire, c’est apporter une couverture, un peu d’eau, dans l’immédiat, mais on a besoin de projets à long terme pour stabiliser les populations en leur donnant des possibilités économiques, d’intégration. On doit aider les pays qui les abritent – 85 % des réfugiés dans le monde vivent dans des pays pauvres.

Il faut appeler le secteur privé, qui a des moyens énormes, à voir les déplacés comme des agents économiques, comme des gens qui ont des capacités, qui savent des choses, et dans lesquels il faut investir. C’est dire aux réfugiés : «Aidez-vous vous-mêmes, on va vous aider à vous aider vous-mêmes.» En effet, ils ont les capacités de se développer, mais encore faut-il qu’ils aient accès au marché du travail.

Il faut dépasser ce petit monde humanitaire. Le nouveau rôle du HCR, c’est d’être un catalyseur, c’est d’amener des gens autour de la table. Parce que l’humanitaire, les Nations unies, ça ne suffit pas. Il faut aussi amener l’idée qu’en aidant l’autre, on va gagner quelque chose, que ce soit sur le plan économique, culturel ou social.

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