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Visite dans un foyer pour jeunes unique en son genre

Environ 45 % des jeunes hébergés par le CJM-IU sont atteints de troubles de santé mentale ou en donnent l’impression, d’après une étude réalisée en 2007. Photo: Métro

Comme dans une grande famille, ils sont six garçons. Ils sont comme tous les autres adolescents. Ils rechignent à faire le ménage de leur chambre, ils adorent les jeux vidéo et ils sont parfois insolents.

Dans les faits, ils vivent dans l’unique foyer de groupe du Centre jeunesse de Montréal-Institut universitaire (CJM-IU) qui est spécialisé dans l’accueil de jeunes ayant des troubles de santé mentale et une déficience intellectuelle. Plusieurs d’entre eux traînent comme un boulet un lourd passé d’abus et de négligence. Métro a visité le mois dernier leur foyer, situé près du centre-ville de Montréal. Aucun journaliste n’y avait jamais mis les pieds.

À la fin de l’après-midi, les six jeunes reviennent de l’école. Dès qu’ils entrent dans le foyer, ils se dirigent vers le bureau des éducateurs pour montrer leur agenda.

« Pis, as-tu eu une bonne journée, demande l’éducatrice.
– Comme d’habitude, répond Martin, peu loquace.
– Ça s’est encore bien passé! Veux-tu que je mette un collant, le taquine l’éducatrice.
– Non, non, non! »

L’adolescent, qui est arrivé au foyer depuis quelques semaines, court se réfugier dans sa chambre. Il est très discret, mais il fait des efforts pour s’intégrer. Pour l’encourager, les éducateurs l’ont désigné «jeune de la semaine».

Les jeunes du foyer sont tous atteints de déficience intellectuelle. Ils fréquentent donc des écoles spécialisées pour les aider à cheminer. Ils n’obtiendront sans doute jamais un diplôme d’études secondaires.

Certains jeunes souffrent aussi de troubles de santé mentale. Ils ne sont pas diagnostiqués, car ils sont mineurs. Ils sont toutefois suivis de près par un psychiatre qui leur prescrit des médicaments pour les aider à se concentrer et à gérer leur anxiété. Dans certains cas, leur trouble de santé mentale découle des mauvais traitements qu’ils ont subis dans leur famille et de leur vie de galère qui s’en est suivi.

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Jérôme est arrivé il y a quatre mois au foyer. Jusqu’à tout récemment, il faisait quotidiennement ses boîtes, car il pensait qu’il déménagerait de nouveau. S’il a arrêté de rassembler ses effets personnels, c’est qu’il a commencé à faire confiance et qu’il a réalisé qu’il demeurerait au foyer pour un long moment.

«Pour la plupart, ce n’est pas leur premier placement, explique l’une des éducatrices du Centre jeunesse de Montréal, Marie-Ève Martucci. Souvent, ils ont vécu des échecs dans leur famille d’accueil et ils ont été placés dans des foyers de groupe. Il y en a pour qui c’est leur sixième ou leur septième placement.»

«Les parents de la plupart des jeunes n’ont pas de compétences parentales adéquates, ajoute Mme Martucci. Il y en a pour qui la problématique de leur enfant est trop lourde pour qu’ils puissent en assumer la garde. Il y a aussi des jeunes abandonnés depuis la petite enfance. Certains ont encore des contacts avec leurs parents de façon occasionnelle.»

Rapidement, c’est l’heure du souper. Les six jeunes ne mangent pas tous en même temps. «Ce serait trop difficile à gérer», explique Marie-Ève Martucci. En groupe de trois, ils se présentent dans la salle à manger. Comme dans une vraie famille, ils discutent de tout et de rien.
« Ça serait quoi, le plus beau cadeau que tu aimerais avoir, Jérôme?
– Une Ferrari
– Et toi, Martin?
– Je ne sais pas. Un voyage à Hawaï.
– Et toi, François?
– Une relation sexuelle. »

Marie-Ève éclate de rire.
Le premier signe de leurs difficultés est leur élocution. Ils peinent à bien prononcer les mots et à bien s’exprimer. En outre, leurs raisonnements ne sont pas toujours logiques. Mais ils ne sont pas des incapables pour autant. Ils démontrent beaucoup d’imagination. Très organisé, Maxime, qui est dans les scouts, dessine des plans des autobus de la Société de transport de Montréal, alors que Patrick, le costaud, fabrique une maquette du Titanic à l’aide de petits morceaux de bois.

Après le repas, c’est l’heure de la détente. Pendant une heure, ils doivent s’occuper de façon autonome dans leur chambre. François a de la difficulté avec cette période de la journée. Il crie ou il fait semblant de vomir. «Je suis malade», vient-il dire aux deux éducateurs. Ils l’écoutent et le renvoient dans sa chambre. Dès que l’heure est terminée, François est le premier à sortir de sa chambre. Il se dirige tout droit vers le sous-sol, où il fera des arts plastiques avec Jérôme et Patrick.

Tous les soirs, une activité spéciale est organisée. Il y a l’atelier de sexologie, celui sur la gestion de la colère et le cours de musique. Le jeudi soir est consacré au magasinage.

«On essaie de leur faire vivre des succès, de leur donner tout ce qu’ils n’ont pas eu», dit Marie-Ève. Parfois, les six jeunes ont aussi droit à des sorties spéciales, au cinéma par exemple, ou au zoo de Granby. Il faut toutefois bien les préparer. «Si on leur dit trop d’avance, ils sont surexcités. Si on leur dit trop à la dernière minute, ils ne sentent pas en sécurité. Il faut leur mentionner comment ça va se dérouler, qui va être là, où est-ce que c’est et à quelle heure ça se terminera», mentionne Marie-Ève Martucci.

Les garçons ont besoin d’une routine rigoureuse. Après leur activité spéciale, ils se préparent à aller dormir et se préparent pour le lendemain.
« Sébastien, as-tu pris ta douche?
– Oui
– As-tu brossé tes dents?
– Oui.
– As-tu fait ton lunch?
– Oui. »

Les garçons grandissent et dans quelques années, ils seront majeurs. Leur avenir ne s’annonce pas rose. S’ils ont quotient intellectuel de moins de 70, le Centre de réadaptation en déficience mentale les prendra en charge et leur trouvera un logement supervisé. «La majorité de la population a un QI entre 80 et 110, explique Marie-Eve. Si un des jeunes a un QI de plus de 70, il ne pourra pas bénéficier des services du CRDM. Il n’est pas assez déficient pour profiter des ressources, mais il est trop déficient pour être autonome et responsable. Il y a une zone grise.»

Des parents seront aussi tentés de se manifester à la veille de la majorité de leur enfant pour obtenir leur part du chèque de bien-être social qu’il recevra. Pas dans tous les cas, heureusement.

Le coucher est prévu à 8 h 45. C’est tôt pour des adolescents, mais les jeunes du foyer sont exténués.
« Est-ce que c’est Raymond qui sera là demain, s’enquiert Jérôme
– Oui, répond Marie-Ève.
– Est-ce qu’il sera là cet été?
– Euh oui. Je ne crois pas qu’il va partir.
– Et toi, est-ce que tu y seras?
– Oui, j’y serai. Jérôme, tu vas quitter le foyer avant moi. »

La nuit est une période au cours de laquelle les jeunes ressentent beaucoup d’anxiété. Certains font des cauchemars et d’autres ont des terreurs nocturnes. C’est souvent durant la nuit qu’ils ont vécu des abus.

Demain sera un autre jour. Rapidement, un des jeunes quittera ce cocon. Le jour même de son départ, un autre prendra sa place. C’est que ces places à l’abri des abus et des excès sont très prisées par les âmes blessées. «Les années que les jeunes passent au foyer sont dans plusieurs cas les plus belles de leur vie», laisse tomber Marie-Ève.

Un foyer unique en son genre
Le foyer de groupe que Métro a visité est unique en son genre au sein du CJM-IU.

«Il y a présence d’une problématique de santé mentale chez la plupart de nos jeunes, sans nécessairement qu’ils soient hébergés dans des ressources spécialisées», a expliqué le chef de service du Centre jeunesse de Montréal, Guy Lupien.

Les adolescents qui sont atteints d’une déficience intellectuelle et de troubles de santé mentale ont davantage de difficultés à fonctionner au cours des interventions de groupe. «Ces garçons manquent d’habiletés sociales ou ont peur des groupes», a dit M. Lupien.

*Les noms des adolescents qui vivent dans le foyer du CJM-IU que Métro a visité ont été changés, pour préserver leur identité.

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