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Fermés jusqu’au 4 mai, des commerces montréalais au bord du gouffre

Commerces
Philippe Sarasin, propriétaire de la Librairie de Verdun. Photo: Josie Desmarais/Métro

Alors que la fermeture des établissements «non-essentiels» a été prolongée hier jusqu’au 4 mai, des commerces montréalais s’inquiètent que l’aide gouvernementale ne sera pas suffisante pour assurer leur survie. Au total, plus de 40% des PME québécoises seraient en danger, alors que les pertes financières moyennes ont triplé dans les dernières semaines pour atteindre 140 000$ en moyenne.

«C’est catastrophique. J’envisage des pertes de 85% ce mois-ci. Avec nos loyers, je ne suis même pas proche de couvrir les frais de base», explique à Métro le propriétaire de la Librairie de Verdun, Philippe Sarrasin. Il détient notamment deux autres librairies dans le secteur. L’entrepreneur affirme qu’il doit actuellement «choisir entre payer ses dettes, ses employés ou lui-même». «La vérité, c’est que je travaille deux fois plus qu’à la normale, sans faire une cenne», dit-il.

«Ce que le gouvernement nous propose, c’est de nous aider à s’endetter plus facilement avec des prêts. Ce n’est pas une solution. Il va se passer quoi quand on va cogner à notre porte pour payer après? Je crains beaucoup de faillites, incluant mes commerces.» -Philippe Sarrasin

Beaucoup d’incertitude

Même son de cloche pour Richard Holder, qui est gestionnaire des restos-bars Majestique, Darling et Waverly. «C’est extrêmement difficile, concède-t-il. On est partis avec des établissements qui roulaient du jour au lendemain, à un chiffre d’affaires de zéro dollar. C’est énorme.»

La survie de son groupe dépendra surtout de la durée du confinement, dit l’entrepreneur, pour qui l’aide gouvernementale ne suffira pas non plus. «C’est une course contre la montre. Plus le temps passe, plus ça met en jeu notre entreprise», lâche-t-il.

«Il y a beaucoup d’incertitude, parce qu’on ignore ce que sera le plan de relance, à la sortie de la crise. J’imagine qu’on ne pourra pas opérer pleinement avant un bout.» -Richard Holder

Des aides directes à envisager?

C’est un fait: la grande majorité des commerçants ont de la difficulté à payer leur loyer actuellement, surtout au centre-ville de Montréal. Une situation qui appelle à des mesures d’urgence, croit le président de l’Association des sociétés de développement commercial de Montréal (ASDCM), Billy Walsh. «Une idée qu’on peut évaluer, c’est de multiplier le nombre d’entreprises par le loyer moyen, pour ensuite verser un chèque équivalent», lance-t-il.

Si les mesures fédérales contribuent certes à «apaiser» les tensions, elles ne feront qu’à long terme repousser le problème, croit le porte-parole. «Pour gérer dans l’urgence, ça prend des liquidités. Nous octroyer des prêts ne fera que repousser la dette accumulée à plus tard. C’est pelleter en avant le problème», insiste-t-il.

 «La situation demeure excessivement critique. Ce serait utopique de penser qu’on pourra sauver tout le monde.» -Billy Walsh, président de l’ASDCM

Dans ce contexte, l’organisme lance un «cri du cœur» aux propriétaires, afin que ceux-ci soient solidaires et sensibles. «On comprend que chaque propriétaire a ses obligations financières, mais s’il refuse de donner un peu de flexibilité, il se tire dans le pied à long terme, parce que le tiers de ses locataires vont fermer. Ça prend une approche collaborative», dit M. Walsh.

Montréal met sur pied des mesures

L’administration Plante a pour sa part annoncé des «mesures économiques supplémentaires» lundi pour soutenir les commerçants.

Un système de livraison sera mis en place avec l’organisme Jalon Montréal et plusieurs sociétés de développement commercial (SDC) sur le territoire. Objectif: compenser pour la perte de clientèle des entreprises, et offrir un service «qui répond aux besoins de la population» en matière d’approvisionnement. Les commerces peuvent s’inscrire au projet sur le site de la Ville directement.

Le comité pour un soutien d’urgence aux commerces, mis sur pied lundi, développera aussi des «solutions concrètes» pour apporter un soutien rapide aux entreprises. D’ailleurs, Montréal offrira un accompagnement gratuit aux entreprises qui souhaiteraient entamer une transition numérique pendant la crise du coronavirus. Les commerçants ont jusqu’au 17 avril pour se manifester.

«Plus que jamais, nous sommes invités à privilégier l’achat local. Le Panier Bleu, lancé par le gouvernement du Québec hier, en est une puissante illustration.» -Valérie Plante, mairesse de Montréal

La FCEI veut des moratoires

Joint par Métro, l’analyste principal des politiques à la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), Gopinath Jeyabalaratnam, estime que l’imposition de moratoires sur certains paiements est urgente.

«Les commerces sont fermés ou tournent au ralenti, mais les loyers continuent d’être chargés. Il faut suspendre les taxes foncières pour ne pénaliser personne», envisage-t-il, appelant le gouvernement à créer un «Fonds d’urgence de liquidités» pour les PME surtout.

«Quand un patient est dans le coma, il faut l’alimenter. Notre économie, en ce moment, elle dans le coma. Il faut lui donner des vivres. Sinon, elle ne se réveillera pas.» -Gopinath Jeyabalaratnam

Le même principe devrait s’appliquer aux factures d’Hydro-Québec, dit M. Jeyabalaratnam. «À Montréal, et surtout dans le centre-ville, ça risque de faire très mal. La période touristique commence en principe dans les prochaines semaines», ajoute-t-il.

Gérer la «détresse humaine»

Pour l’économiste et professeur aux HEC de Montréal, Germain Belzile, les gouvernements doivent se rendre compte «que les commerces essentiels n’existent pas à eux seuls, dans une économie complexe comme la nôtre».

«Les pharmacies, par exemple, ont besoin de matériel pour produire. Quand on commence à regarder la chaîne d’approvisionnement, on se rend compte de son ampleur. Il faut qu’on permette à des entreprises non-essentielles de rouvrir le plus tôt possible, quitte à imposer des règles de distanciation.» -Germain Belzile, expert en politiques macroéconomiques

Une fermeture d’encore quatre semaines, tel qu’il est prévu, «détruira notre écosystème économique», martèle l’expert. «On ne pense pas à l’immense détresse humaine qu’on est en train de créer. Le Québec tourne le dos à des gens qui ont sué sang et eau pour créer leurs commerces, et qui vont tout perdre», conclut-il.

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