La crise des surdoses prend de l’ampleur à Montréal
Au mois de juillet, la Direction de santé publique de Montréal a enregistré un nombre record de décès probablement ou possiblement reliés à des surdoses. Et, fait inédit, ces décès ont été majoritairement enregistrés dans les quartiers périphériques au centre-ville. Cela ne touche semble-t-il plus seulement les populations marginalisées.
Selon une information du Bureau du coroner du Québec, rapportée par la Santé publique de Montréal, quelque 23 décès possiblement ou probablement liés à une intoxication aux drogues de rue, ont été enregistrés au mois de juillet 2020.
La majorité de ceux-ci découlaient de la consommation de stupéfiants comme le crack, la cocaïne et les amphétamines. Seulement «cinq cas seraient associés à des opioïdes, dont un seul évoquant possiblement du fentanyl», indique un communiqué de la Santé publique.
«Il s’agit du nombre le plus élevé de décès en un mois depuis la vigie des surdoses instaurée en 2014», informe la Dre Carole Morissette, médecin-conseil au service Prévention des ITSS et réduction des méfaits liés aux drogues du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux.
«Il y a eu une vague en 2014, et avant juillet, c’est resté pas mal stable, entre 10 et 11 par mois. Mais passer de 11 à 23, c’est réellement une augmentation qu’on doit suivre de près», cela même si les décès par surdoses n’ont pas été confirmés par le coroner, explique-t-elle.
Une nouvelle population
Les décès survenus «touchent désormais des personnes à leur domicile, dans des quartiers périphériques, au Nord, à l’Est, à l’Ouest, contrairement à ce qu’on voit d’habitude», note la docteure.
«Ce sont peut-être des consommateurs de stimulants [crack, cocaïne, amphétamines] récréatifs ou occasionnels qui ont un travail, qui sont bien insérés dans la société et qui ont eu le malheur de tomber sur une drogue qui les a fait mourir», explique Mme Morissette.
Selon la Santé publique, ces décès auraient pu survenir à cause des chaleurs accablantes du mois de juillet. La prise de stimulant augmente en effet la température corporelle et à cause de la chaleur, le corps n’arrive pas à faire descendre sa température. «Si bien que l’hyperthermie entraine des dommages cardiaques par exemple», souligne Carole Morissette.
«On est préoccupé car les gens consomment seuls et personne ne peut leur venir en aide», lance-t-elle.
Cibler la prévention
Selon la docteure, les signalements de surdoses au fentanyl et à l’héroïne «se passent beaucoup dans les quartiers centraux avec des populations qui sont en lien avec des organismes communautaires qui sont bien outillés et sont formés au programme de naloxone [un médicament pouvant arrêter temporairement les effets des drogues opioïdes]».
Toutefois, «les personnes décédées en juillet sont éloignés des organismes communautaires et c’est pourquoi on pense que c’est important de transmettre les messages à la population pour rejoindre le plus grand nombre», Mme Morissette.
«On est face à une situation qu’on ne connaît pas en tant qu’organisme de rue», explique Magali Boudon, coordonnatrice chez Dopamine, organisme s’occupant des personnes marginalisées consommatrices de drogues. «Pendant la pandémie, tout le monde, face à l’angoisse a surconsommé quelque chose, sauf qu’avec les drogues, on prend plus de risques…»
Crise des opioïdes
Au mois de juillet, la Santé publique a rapporté 15 interventions d’urgence dans les Services d’injection supervisée (SIS), «le mois le plus élevé depuis que les SIS ont ouvert en 2017», rapporte Dre Morissette.
«Même si on a un grand nombre de surdoses signalées, elles ont été pour la plupart renversées par de la naloxone», remarque-t-elle.
«Pour nous c’est clair qu’il y a une crise de surdoses», lance Julien Montreuil, directeur général de L’Anonyme organisme gérant entre autres un Service d’injection supervisée.
Pour Magali Boudon aussi, la pandémie n’a rien arrangé aux surdoses. «Le premier réflexe, ça a été de fermer les salles d’injections, les infirmières ont quitté les SIS pour aller travailler sur le virus», dit-elle.
Selon Mme Boudon, «l’organisation de la rue est tombée à l’eau, tout le monde s’est confiné et l’isolement a fait que la consommation était plus accrue et les personnes ont consommé seules».
«Tous ces facteurs-là ont créé un élément favorable à la remonté des surdoses», pense-t-elle.
Pandémie encore, face à la fermeture de la frontière canado-américaine, le nombre de doses disponibles sur le marché de la drogue est moins importante, selon M. Montreuil.
Les trafiquants seraient alors obligés de la couper avec des produits moins chers, mais plus dangereux pour la santé, comme le fentanyl. Ce dernier serait 40 fois plus puissant que l’héroïne et 50 à 100 fois plus puissant que la morphine, selon la Santé publique.
Au cours des derniers mois, plusieurs saisies importantes de fentanyl ont en effet été faites par le SPVM, comme à Lachine où cette substance a été trouvée accompagnée de stimulants et d’héroïne.
Selon des premiers résultats d’enquête, «ces produits proviennent de l’Ontario, le SPVM est très clair, ce ne sont pas des produits qui proviendrait des États-Unis», informe Mme Morissette.
Peu importe la provenance, l’entrée du fentanyl sur le marché montréalais pousse «les personnes à faire des mélanges, ce ne sont pas des chimistes, et cela mène à des surdoses», résume M. Montreuil.
Prévention
Pour les personnes qui seraient témoins et les proches de consommateurs, en plus d’appeler le 911, il est possible d’obtenir une trousse de naloxone gratuitement dans les pharmacies et d’être formé gratuitement au protocole d’injection auprès d’organismes.
La Santé publique conseille aux personnes prenant de la drogue de ne pas consommer seul et de tester une petite quantité avant la prise complète.