Entre admiration, haine et indifférence
Maintes fois, j’ai lu et entendu: «Pourquoi vous [les musulmans ou les Arabes] ne faites pas comme les Asiatiques? Eux autres ne causent pas de trouble!»
Les gens qui entretiennent cette opposition entre bonnes et mauvaises minorités (comme si elles étaient de la marchandise) pensent probablement qu’ils font une fleur aux personnes asiatiques et que celles-ci se réjouissent de telles comparaisons.
La réalité est tout autre.
Dimanche dernier, lors d’un rassemblement au centre-ville de Montréal, plusieurs personnes ont pris la parole pour dénoncer le racisme anti-asiatiques et les stéréotypes, dont le fameux mythe de la minorité modèle qui leur colle à la peau.
Même message catégorique sur des pancartes: «Je ne suis pas votre minorité modèle». Ce mythe relève bel et bien du racisme; il est infantilisant, homogénéisant, et agit comme une injonction à la docilité.
C’est une manière de dire que les membres d’un groupe ethnoculturel minoritaire se doivent d’être effacés et passifs s’ils veulent être tolérés. Puis, idéalement, travailler avec acharnement, sourire et partager des recettes exotiques.
La manifestation faisait voler en éclat cette représentation réductrice des communautés asiatiques. Le ras-le-bol était palpable.
Ici et ailleurs en Amérique du Nord, les difficultés auxquelles elles sont confrontées, allant du racisme à la précarité socioéconomique, ne peuvent plus être minimisées à travers un récit unidimensionnel de succès. Comme d’autres groupes, elles vivent de la discrimination, de l’exclusion et des épreuves diverses.
À titre d’exemple, les données du dernier recensement montrent que les Montréalais d’origine chinoise (qui constituent l’une des principales minorités asiatiques à Montréal) ont un revenu médian inférieur de 21% à celui des Montréalais blancs.
Ce sont, en outre, des personnes qui subissent souvent de la déshumanisation qui se manifeste par de l’indifférence, par de l’hostilité ou par une objectification sordide dans le cas des femmes.
Les personnes asiatiques sont tantôt admirées, tantôt méprisées, tantôt ignorées. Le regard porté sur elles est teinté d’ambivalence et ça montre qu’elles ne sont pas seulement considérées à travers le prisme de la minorité modèle.
Elles sont également confrontées à ce que l’anthropologue libano-australien, Ghassan Hage, nomme le racisme numéraire. Il se produit lorsque, par exemple, des résidents sont heureux d’accueillir une famille vietnamienne dans leur quartier, mais dénonceront une «invasion» quand quelques familles supplémentaires s’y installeront à leur tour.
Le contexte de pandémie, dans lequel la violence atteint un niveau effrayant depuis plus d’un an, met en évidence à quel point un groupe peut rapidement basculer dans la catégorie des indésirables.
Disons que cette exacerbation ouvre les yeux de beaucoup de gens. Pendant le rassemblement du 21 mars, une manifestante rappelait que les petits gestes symboliques et ponctuels sont, comme toujours, nettement insuffisants. Les autorités devraient déployer des ressources et des actions d’envergure pour contrer la vague de haine qui a déferlé dans la dernière année et qui, sans ça, pourrait avoir des répercussions encore longtemps.