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Le Journal de Montréal poursuivi pour une photo fausse et stigmatisante envers les Noirs

palais de justice
Photo: Archives Métro

Neuf jeunes issus de minorités ethniques, majoritairement des hommes noirs, poursuivent le Journal de Montréal et Québecor pour les avoir faussement présentés comme des membres de gangs de rue et des fraudeurs en utilisant leur photo pour illustrer une chronique.

En mars dernier, le Journal de Montréal a utilisé l’image de plusieurs jeunes issus de la diversité pour illustrer la chronique de Pierre-Olivier Zappa intitulée «Les gangs de rue profitent de la PCU». La légende de la photographie indiquait «Des membres de gangs de rue, il y a quelques jours, dans la métropole».

Or, c’était «doublement faux», peut-on lire dans la demande introductive d’instance déposée le 25 juin au palais de justice de Montréal. Non seulement les demandeurs réfutent tout lien avec les gangs de rue, mais en plus il s’agirait d’une photographie prise à leur insu en 2007, alors qu’ils étaient mineurs et étudiaient à l’école secondaire Calixa-Lavallée. 

D’ailleurs, jusqu’à sa publication, ils n’étaient pas au courant que cette photographie avait été prise d’eux. «Aucun consentement implicite ou explicite ni des demandeurs ni encore de leur gardien à l’époque tant pour la prise de la photographie, que pour sa publication» n’avait été donné, précise-t-on dans le document judiciaire. 

Les demandeurs présentent un recours pour dommages et intérêts pour diffamation, atteinte à la vie privée, à la réputation et à la dignité. Ils réclament chacun 40 000$ pour dommages moraux (25 000$) et exemplaire (15 000$), pour un total de 360 000$. 

Le journaliste et professeur du département de communication de l’université de Montréal Alain Saulnier rappelle que le devoir d’un journaliste est de dire la vérité. «Sur le plan déontologique, on ne met pas une photo qui pourrait laisser croire à une information qui n’est pas validée», dit-il. 

Rectificatif insuffisant?

Le 28 mars 2021, un petit encadré «Rectificatif» a été publié dans le journal papier du Journal de Montréal. Le texte expliquait que «l’image n’illustrait en rien le contenu de la chronique», mais ne mentionnait aucune correction en lien avec la légende. 

Les demandeurs, ni personne de leur entourage, n’ont eu connaissance de ce rectificatif. Ils estiment que les défendeurs n’ont accordé aucune visibilité au rectificatif, de sorte qu’il est passé inaperçu. 

Sur le site internet, l’image illustrant la chronique a seulement été changée. 

Le chroniqueur Pierre-Olivier Zappa a présenté des excuses publiques le 27 mars dernier sur sa page Facebook. Il souligne que la photo ne représente aucunement le sujet, tout en précisant qu’il ne choisit pas lui-même les photos qui accompagnent ses chroniques – une pratique normale dans le monde des médias d’information.

Alain Saulnier indique que, «théoriquement, un rectificatif doit être à la hauteur de la faute commise», mais ce sera à la cour de déterminer si ça a été le cas dans ce dossier-ci. 

Celui qui est à l’origine du premier Guide de déontologie de la profession journalistique au Québec estime toutefois que tous les médias devraient adopter cette règle. «Maintenant, il y a des médias qui peuvent la mettre en application de façon moins importante que d’autres», précise-t-il.

Malgré le rectificatif publié par le Journal de Montréal, des membres du public ont continué à proférer des messages haineux à l’égard des demandeurs, selon la poursuite. Ils étaient convaincus que les demandeurs étaient des fraudeurs et des membres de gangs de rue.

«Si on retrace les 12 jeunes sur la photo de 2008, il y a des chances que la moitié soient [sic] des criminels aujourd’hui. Calixa-Lavallée c’est comme maternelle une maternelle avant d’aller en prison», a notamment écrit un internaute sur le site internet Cliqueduplateau.

Les demandeurs ont d’abord envoyé une mise en demeure au Journal le 9 avril, mais celle-ci est restée sans réponse.

«Stéréotypes racistes»

La partie demanderesse estime que la publication de l’image «contrevient à l’intérêt public» puisqu’elle entretient «des stéréotypes racistes qui stigmatisent les jeunes hommes issus de communautés racisées, particulièrement les jeunes hommes noirs.»

En effet, selon la poursuite, «le choix de cette image, combinée à la légende et au contenu de la chronique reprend un stéréotype qui est largement véhiculé à l’effet que les jeunes hommes issus de la communauté noire et d’autres communautés racisées, ayant un style particulier et venant de certains milieux, sont dangereux et sont associés à la criminalité».

Les demandeurs affirment avoir vécu des préjudices à la suite de cette publication, notamment puisqu’ils ont vécu «le choc, l’humiliation publique d’être associés à des gangs de rue, à des fraudeurs, et la honte d’être reconnu par des proches parents et amis et collègues». Même ceux dont le visage n’est pas visible sur la photo ont été identifiés, précise-t-on dans la poursuite. 

De manière générale, Alain Saulnier pense que les journalistes devraient faire un «examen de conscience à l’égard des stéréotypes qui peuvent exister et qui sont peut-être encouragés à certains égards, aussi bien pour les personnes racisées que pour les Autochtones».

Contacté par Métro, le Journal de Montréal n’a pas répondu à nos demandes d’informations.

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