De l’information locale pour tous les quartiers de Montréal?
Chaque quartier de Montréal aura son propre journal local dans une dizaine d’années. Voilà le souhait du Comité aviseur sur les journaux locaux formé par la Ville dans la foulée du changement de mode de distribution du Publisac. Cependant, le virage numérique et les moyens financiers devront être au rendez-vous pour y arriver.
Dès mai 2023, seuls les Montréalais qui le désireront recevront le Publisac. Ce changement touche les journaux locaux puisque plusieurs d’entre eux sont distribués dans les Publisacs.
Le comité, créé pour pallier les contrecoups de ce changement de distribution sur la presse locale, a projeté un état idéal de la presse locale en 2032. Selon sa réflexion, on devrait trouver «au moins» un journal dans chaque quartier de la métropole. Les citoyens chercheront à développer leur sentiment d’appartenance locale et à mieux s’impliquer dans leur vie de quartier, ce qui passe par la disponibilité d’une meilleure information locale», imagine le comité dans le rapport. Ce souhait englobe les 18 éditions de quartier de Métro ainsi que des médias concurrents.
Cette vision est «optimiste», concède Andrew Mule, PDG de Métro et membre du comité, mais elle n’est pas «trop ambitieuse». «C’est quelque chose qui a déjà existé. L’effet de globalisation a fait en sorte qu’on s’est détaché un peu de nos communautés locales en général. En 2022, l’interaction avec notre voisinage devient plus importante. Je pense que c’est un minimum d’avoir un journaliste par quartier», explique-t-il.
Comme les journaux locaux représentent un «apport multidimensionnel à la vie communautaire», il serait justifiable de leur accorder un financement public permanent, estime le comité. Les éditions numériques occuperaient une place encore plus grande qu’aujourd’hui, mais certains journaux seraient encore imprimés. «Si l’édition papier existera encore pour certains journaux, elle aura conquis ses titres de noblesse par une distribution par la poste assurant un taux de pénétration accru, et plus distinctive que selon les modalités actuelles», mentionne le comité.
Source première d’infos
Le comité note toutefois que la survie des médias locaux est précaire, et appelle à des actions concrètes de la part de l’État. «La transition vers les nouveaux modèles d’affaires qu’appelle le contexte global sera périlleuse pour cette industrie et les conséquences d’éventuelles disparitions impacteront davantage les milieux locaux», écrit-on.
Cette situation est d’autant plus préoccupante que les journaux locaux sont les sources premières d’information sur plusieurs types de sujets. Une revue de la littérature commandée par le comité dévoile que les citoyens consultent d’abord les journaux locaux pour des informations sur les annonces locales, la criminalité, l’économie, la politique, les sports locaux et les programmes scolaires. Ils viennent en deuxième position (derrière les journaux nationaux) pour les informations sur la COVID-19, la circulation et les attractions locales.
«Le comité a établi l’importance de notre rôle dans l’écosystème démocratique municipal», soutient le PDG de Métro.
Quel financement?
Un soutien financier est donc demandé à la Ville de Montréal. Celui-ci porterait «autant sur la problématique des revenus que [le] soutien aux dépenses des journaux locaux».
Le comité propose plusieurs pistes de solutions, inspirées d’ailleurs. Certaines dépendent des gouvernements provincial et fédéral – qui offrent déjà plusieurs aides, notamment une subvention pour les salaires – mais d’autres sont spécifiques aux municipalités comme Montréal. On souligne que dans d’autres juridictions, le taux des taxes municipales applicables peut être allégé. Des crédits d’impôt sont aussi offerts aux commerces pour qu’ils favorisent le placement de publicités dans les médias locaux.
En entrevue avec Métro au début du mois, la mairesse Valérie Plante a ouvert la porte à un financement des journaux locaux par la Ville de Montréal. Il pourrait s’agir d’un financement direct, ou via de l’achat publicitaire. Les arrondissements publient déjà des avis publics dans plusieurs publications hebdomadaires de la métropole. Cependant, les services centraux publient surtout leurs avis publics dans des publications d’envergure nationale, comme Le Devoir, The Gazette et Le Journal de Montréal.
Pour M. Mule, «un engagement de la Ville à s’investir financièrement et à encourager la population à consulter l’information locale» est très important. Il souligne également que les besoins des médias locaux ne sont pas les mêmes que ceux des médias nationaux. «Les médias nationaux peuvent rejoindre des millions de personnes, alors qu’au local, la majorité de ce qu’on fait ne peut rejoindre que quelques dizaines de milliers de personnes. On vit dans un monde numérique où il faut aller chercher un maximum de clics, mais au local, ce ne sont pas des articles qui peuvent devenir viraux même s’ils soutiennent énormément la vie quotidienne des citoyens», expose-t-il.
Son collègue du comité Yannick Pinel, qui est aussi directeur de la stratégie éditoriale numérique à Radio-Canada, estime quant à lui que «le média local doit être davantage à l’écoute de ses lecteurs […] en trouvant des façons de parler de ce qui intéresse les gens, de les mettre en vedette en appliquant des codes du numérique sur de l’information qui est souvent abordée de la même façon depuis des décennies».
Celui-ci rappelle que le format web utilisé actuellement par la plupart des médias traditionnels se rapproche beaucoup du format papier. «On n’a pas nécessairement réinventé le modèle. On a des pages, un peu plus longues, avec des espaces publicitaires autour alors qu’on est en compétition avec les GAFA de ce monde qui offrent des cibles publicitaires beaucoup plus précises et plus grandes que ce modèle-là. Et c’est la même chose pour les médias nationaux, qui pour la plupart sans aide gouvernementale auraient sans doute eu à couper davantage de postes ou même fermer leurs portes», poursuit-il en se disant d’accord avec une aide financière pour permettre aux médias locaux de «trouver la formule gagnante».
De son côté, l’éditeur du Journal des voisins dans l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville, Philippe Rachiele, relève que les lecteurs ont davantage le réflexe de se tourner vers les grands médias plutôt que vers leur hebdo local pour s’informer. «Les lecteurs ne pensent pas toujours de venir voir les quelques nouvelles que nous avons localement. Ils viennent nous voir une fois par semaine quand on envoie notre infolettre», laisse-t-il entendre.
«Le milieu local est un marché difficile à développer. On peut tenter de bâtir sur le sentiment d’appartenance, mais il est plus présent en région que dans les quartiers montréalais. On doit trouver les gens là où ils sont et faire en sorte que notre contenu soit celui qu’ils choisissent au détriment des vidéos, mèmes, photos de familles et tout ce qui circule sur les médias sociaux. C’est souvent l’information qui doit trouver les gens», ajoute Yannick Pinel.
M. Rachiele, dont le journal n’est pas distribué dans le Publisac, souligne qu’une aide de la ville-centre serait très appréciée. «Nous partageons les informations qui nous sont transmises, mais il n’y a pas vraiment de suivi de la part de la ville-centre. Il me semble que ce serait normal que la ville encourage son journal local et les citoyens à s’engager dans ce qui se passe près de chez eux.»