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Une escouade d’intervenants pour éviter aux enfants noirs de «rester dans le système de la DPJ»

Au centre, le sociologue Charles Bottex, qui intervient dans le cadre du programme Option protection auprès de parents haïtiens aux prises avec la DPJ Photo: Photo Jean Numa Goudou/Métro

Dans une petite salle du Bureau de la communauté haïtienne de Montréal (BCHM), une petite escouade de dix intervenants, composée de sociologues, criminologues, psychologues et travailleuses sociales, tente depuis deux ans d’éviter à 400 familles noires et 725 enfants sur l’île de «rester dans le système de la DPJ». Ils ont chacun entre 20 et 25 dossiers en cours et, depuis six mois, les cas de demandeurs d’asile, en choc culturel, s’amoncellent sur leurs petits bureaux.

En collaboration avec la DPJ, le BCHM a créé en octobre 2020 l’Option protection (OP), un projet qui consiste à organiser une médiation culturelle dans les sphères de vulnérabilités des communautés ethnoculturelles qui entravent leur insertion sociale au sein de la société.

Phiona (non fictif), une ancienne demandeuse d’asile, se préparait à accueillir ses deux enfants de retour de l’école lorsqu’elle a reçu un appel d’un numéro masqué. «La personne m’a demandé de m’identifier et après quoi, elle m’a dit: nous sommes de la DPJ et nous avons vos enfants, raconte la femme d’origine haïtienne, rencontrée par Métro au BCHM. J’étais dans tous mes états alors que mon mari était au travail. Je ne savais plus sur quel pied danser.»

La DPJ l’a par la suite rencontrée pour l’informer que des plaintes pour «fessées» avaient été reçues, motivant son intervention.

J’ai dit la vérité. Des fois, il m’arrive de les punir par une petite calotte, mais je ne donne jamais de volée de bois vert à mes enfants.

Phiona, mère de trois enfants qui a eu maille à partir avec la DPJ

C’est un intervenant du programme OP, Charles Bottex, sociologue de formation, qui a aidé Phiona à démêler toute l’histoire avec les autorités et qui lui a permis de récupérer ses enfants assez vite.

Ils viennent des écoles et des CLSC

D’octobre 2020 à décembre 2022, 417 enfants ont été référés à ce programme par la DPJ, pour un total de 280 familles, tandis que la communauté en a référé 118, pour un total de 70 familles, au cours de la même période.

«Parfois, ce sont les familles elles-mêmes qui appellent pour dire qu’elles n’en peuvent plus avec leurs enfants», relate la directrice générale du BCHM, Ruth Pierre-Paul. Les écoles et les CLSC, déjà en manque de ressources, accueillent la dizaine d’intervenants d’OP à bras ouverts et ne manquent pas de faire appel à eux, entre autres lorsque les intervenants «ne comprennent pas».

Cinq des dix intervenants du programme Option protection du BCHM, lors d’une rencontre avec Métro Photo: Jean Numa Goudou, Métro

Un «drame humain»

«Souvent, il y a la barrière de la langue et les familles se referment parce qu’elles n’ont pas confiance. Mais lorsqu’elles voient une personne noire qui leur parle dans leur langue, elles se confient assez vite», constate l’intervenante d’OP, D-Lorah Brezault.

Ses collègues et elle sont aux prises tous les jours avec des cas qui les interpellent. La situation d’une femme enceinte d’un quatrième enfant, demandeuse d’asile, qui appelle la police pour une violence conjugale et qui, en fin de compte, se fait retirer ses quatre enfants, est troublante pour ces intervenants d’origine haïtienne. L’équipe déplore que dans certains dossiers, les autorités de la DPJ ne leur laissent aucune marge de manœuvre.

La DPJ croit qu’elle n’est pas capable de s’occuper de ses enfants. Mais nous, ce n’est pas nécessairement notre avis.

D-Lorah Brezault

Il y a aussi l’histoire d’un homme demandeur d’asile, qui a traversé 12 pays d’Amérique latine avec son enfant afin, dit-il, de lui assurer un meilleur avenir, et qui se fait réquisitionner son fils. «Au tribunal, j’ai assisté cet homme en crise qui se roulait par terre en hurlant qu’il n’avait pas fait tous ces sacrifices pour qu’on lui enlève son enfant. C’est vraiment un drame humain», témoigne l’intervenant communautaire et sociologue Charles Bottex.

«On est là pour amener un autre aspect à la DPJ. Ce monsieur, il n’a pas de problèmes de santé mentale, mais il faut juste le comprendre», renchérit la cheffe de projet OP, Marie-Suzie Casséus.

«Profilage racial»

La directrice de la Maison d’Haïti, Marjorie Villefranche, qui a témoigné lors des audiences de la commission Laurent, demeure très critique vis-à-vis des autorités de la protection de la jeunesse, trop enclines à extraire des enfants noirs de leur famille, croit-elle.

Je trouve que cela ne s’améliore pas, car ce que je suis allée dire devant la commission Laurent est qu’il y a un profilage de la communauté haïtienne et cela continue.

Marjorie Villefranche, directrice de la Maison d’Haïti

En entrevue avec Métro, Mme Villefranche dénonce le fait que, selon elle, les intervenants de la DPJ «sautent trop vite aux conclusions dès qu’il s’agit d’une famille noire». Elle rappelle qu’au sein de plusieurs organismes communautaires, il existe des alternatives à la DPJ qui offrent des solutions de rechange aux parents et dont les autorités ne tiennent pas compte. «Cela dépend toujours de la sensibilité et de l’intelligence des travailleurs sociaux, observe Mme Villefranche, et il y en a qui sont sensibles à cela.»

La responsable du programme OP, Marie-Suzie Casséus, reconnaît aussi que la collaboration avec la DPJ est porteuse d’espoir et que le programme connaît de petits succès. «On a eu des dossiers judiciaires où la DPJ voulait poursuivre mais étant donné qu’on est là, le juge a décidé de fermer les dossiers.»

Encore du travail à faire

Le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, a rencontré toutes les DPJ à travers le Québec il y a une semaine. Des rencontres que son attachée de presse, Sophie J. Barma, qualifie de «rencontres régulières sur le terrain», dans un courriel adressé à Métro. «Les équipes travaillent fort pour la mise en place des différentes mesures, comme la prévention en première ligne ou l’intervention auprès des plus vulnérables, des sujets qui font l’objet de discussions en continu», ajoute-t-elle.

Le décès d’une fillette de sept ans à Granby, le 30 avril 2019, a ébranlé la population québécoise et a soulevé des inquiétudes sur le système de protection de la jeunesse et sur le soutien aux familles en situation de vulnérabilité. Depuis, il y a eu le rapport Laurent (Régine), paru le 3 mai 2021. Au 31 mars 2022, 43 recommandations sur 65, soit 66%, ont été traduites en projet.

«Sur la question entourant les communautés interculturelles, l’embauche d’intervenants communautaires et le développement de formations adaptées font partie des mesures prises pour favoriser de meilleurs rapports entre les organismes communautaires et la protection de la jeunesse», indique à Métro la porte-parole du MSSS, Noémie Vanheuverzwijn.

Le rapport de mi-parcours, qui date de mars 2022, indique que 12 embauches sur 25 ont été effectuées.

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