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Vivre normalement en entendant des voix

Photo: Getty Images/iStockphoto

Au CAMÉÉ, un groupe d’entraide en santé mentale de Montréal-Nord, jusqu’à 15 personnes se réunissent de façon hebdomadaire pour s’aider à apprivoiser des voix, des voix qu’eux seuls entendent.

François entend plusieurs voix à l’intérieur de lui-même, certaines positives et d’autres négatives, qui lui donnent des ordres. La voix d’une amie d’enfance de Danielle vient quotidiennement la déranger, alors que Louise se fait culpabiliser par une petite fille lorsqu’elle a des problèmes budgétaires.

Les trois, comme la majorité des membres du groupe, prennent de la médication de façon rigoureuse pour traiter leur psychose, mais entendent quand même des voix.

«Une nouvelle approche consistant à aider ces personnes à mieux vivre avec leurs voix, plutôt que de se battre pour les éliminer, a été développée en Europe depuis la fin des années 1990. Elle a commencé à s’implanter au Québec en 2007», raconte Jean-Nicolas Ouellet, coordonnateur du CAMÉÉ.

Le CAMÉÉ fait donc partie de la quinzaine d’organismes au Québec qui offrent des ateliers durant lesquels les entendeurs de voix se rencontrent, discutent sans jugement, travaillent ensemble pour comprendre le phénomène et se donnent du soutien, sous la supervision d’un intervenant du centre.

Ils se donnent donc des stratégies pour «dompter» leur voix. «Il y a les stratégies passives, comme de faire des activités qui rehaussent l’estime de soi. Pour certains, mettre des bouchons ou écouter de la musique permet de faire taire la voix», affirme Adel Messaoudi, agent de relations humaines au CAMÉÉ.

Les stratégies passives consistent à interagir avec les voix pour avoir le dessus sur elles. «Je dis à ma voix qu’on doit se quitter et qu’elle peut revenir le lendemain à la même heure. Et elle accepte», rapporte Danielle.

Certains «entendeurs de voix» arrivent donc à reprendre du pouvoir sur leur vie. Mais arriver à cette étape est un long cheminement. Les voix sont souvent entendues de façon claire et sont extrêmement présentes, voire intolérables pour ceux qui les entendent. Lorsqu’elles apparaissent, beaucoup commencent donc par vivre une phase dite de «désorganisation», qui peut durer plusieurs années. François, par exemple, avait très peur d’elles à l’adolescence. Il a ensuite dû prendre conscience de son problème pour enfin se présenter aux ateliers et essayer d’améliorer sa vie.

Ces personnes doivent aussi composer avec une certaine stigmatisation. «Quand ils pensent aux entendeurs de voix, les gens ont souvent en tête des images de fous furieux qui tirent dans les écoles ou d’itinérants qui parlent tout haut avec des personnes imaginaires en pleine rue. Mais c’est très loin de la réalité de la majorité d’entre eux», objecte M. Ouellet.

Non, François, Louise et Danielle ne discutent pas avec leurs voix en public. Ils savent très bien de quoi ils auraient l’air. Ils ne se confient pratiquement pas à leurs proches, qui sont bien souvent mal à l’aise avec la question. «Mon père ne veut simplement pas en parler», affirme François.

«Il reste beaucoup de chemin à faire dans notre société, estime M. Ouellet. Je vois toutefois un changement depuis 2001. Les gens sont prêts à en entendre parler et les chercheurs s’y intéressent de plus en plus. On a un retard par rapport à l’Europe, mais on est prêt à le rattraper.»

Une réponse à un traumatisme
De 70 à 90% des gens qui entendent des voix le vivent suite à un évènement traumatique, selon le Réseau d’entendeurs de voix québécois. Adel Messaoudi, agent de relations humaines au CAMÉÉ, remarque que c’est le cas de la plupart des participants à ses ateliers. Louise, par exemple, affirme que ses voix sont apparues suite à l’expérience douloureuse du divorce de ses parents et de son passage dans plusieurs familles d’accueil.

Les gens qui présentent un diagnostic de santé mentale, en particulier de schizophrénie, sont beaucoup plus susceptibles d’entendre des voix. Mais les travaux du psychiâtre anglais Marius Romme et de plusieurs successeurs ont mené à la conclusion que le fait d’entendre des voix ne pouvait pas être directement relié à la maladie mentale.

«Entendre des voix est souvent une stratégie mentale pour composer avec le trauma, explique Myreille St-Onge, psychologue et professeur à l’Université Laval. Lorsque les personnes réussissent à y trouver un sens, à les accepter et à les percevoir de façon positive, elles peuvent continuer à bien vivre. Par contre, ceux qui en ont peur et les rejettent sont susceptibles de développer un trouble mental.»

Journée Bell Cause pour la cause
Diverses activités auront lieu à Montréal et ailleurs au Canada dans le cadre de la Journée Bell Cause pour la cause, qui vise à éliminer la stigmatisation des gens souffrant de problèmes de santé mentale.

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